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Un maillot de l’équipe de France pointe au bout d’un chemin aride, bordé de cactus. D’un côté de la route, l’hacienda San Pedro, parfaitement entretenue, de l’autre, son propre cimetière confiné entre deux murs à la pierre multiséculaire dont le dessin imite une façade d’église coloniale. Un décor poussiéreux au parfum de bon vieux western spaghetti à tourner sous un soleil de plomb. Mais, ici, point de chasseurs de primes, ni de bandidos, seulement quelques millionnaires qui filent à bon train dans leurs SUV (véhicules utilitaires de sport), l’air conditionné poussé à fond et les vitres fumées bien remontées. À pied, Yahel, dix-huit ans, qui a enfilé un maillot de l’équipe de France floqué Gignac pour l’occasion, attend patiemment à quelques encablures de la Cueva (la grotte) où s’entraînent les Tigres, à trente kilomètres au nord de Monterrey. Il est venu chercher ce qui vaut pour lui un trésor : un autographe de son idole.
« Pour nous, Gignac est un dieu, assure le jeune homme au teint mat et aux cheveux noirs. Voir un international français défendre nos couleurs, c’est une fierté, d’autant qu’il donne tout sur le terrain et qu’avec lui on a remporté un Championnat (NDLR: le quatrième titre de l’histoire des Tigres). » « En fait, une relation vraiment spéciale s’est nouée entre les supporters et Gignac, soutient Jonathan Llanes, leader de la barra Libres y Lokos (groupe ultra). Il s’est senti soutenu dès son premier jour et nous a rendu la pareille sur le terrain. Quand il a fait le signe de la barra pour célébrer son but avec l’équipe de France face à l’Allemagne, ce fut vraiment spécial. Faire cela ne serait même pas venu à l’esprit de joueurs formés au club. » Ce signe, le double L, les initiales des Libres y Lokos, Gignac avait déjà surpris en le réalisant à son arrivée à l’aéroport alors qu’il venait à peine de poser le pied à Monterrey, en juillet 2015. « Entre Gignac et les fans, ce fut un véritable coup de foudre », estime Carlos « Careca » Bianchezi, ex-international brésilien, qui est installé à Monterrey depuis la fin de sa carrière, en 1997. Le début d’une relation qui n’a même pas un an, mais dont les fondations semblent aussi solides que les murs de l’hacienda San Pedro.
SKATEBOARD
ET QUARTIER DANGEREUX
Changement de décor. La circulation est dense, bruyante, les gaz d’échappements parfument l’air. Ce sont les rues saturées et grises du centre-ville de l’industrielle Monterrey. Là encore, on découvre une marque d’adoration pour André-Pierre Gignac. C’est une banderole jaune et bleu qui s’étale sur une quinzaine de mètres et surplombe l’entrée d’un magasin de vêtements très bon marché : « Bomboro Gignac Gignac, qué bomboro. » La banderole reprend un refrain inspiré du vieux standard tropical « Bomboro quina quina », qui s’offre une deuxième vie depuis l’arrivée du Français au Mexique. Cette partie du centre-ville de la troisième métropole du Mexique est plutôt déconseillée la nuit tombée, et, en règle générale, esquivée par les footballeurs des Tigres ou des Rayados, l’autre grand club de la cité. Pas par Gignac. En février dernier, la nouvelle tête de gondole de la LigaMX, nom du Championnat mexicain, avait ainsi surpris toute une ville en débarquant au mercado Fundadores, un marché couvert dédié aux diverses tribus urbaines : skateurs, fans de reggae, de métal, de punk, etc. « C’était vraiment étrange, se rappelle Carlos Homero Ramos, vendeur de la boutique de skateboard Paranoïa, il est arrivé sans garde du corps, il voulait des planches de skate pour ses enfants qui l’accompagnaient. Comme je suis fan des Tigres, j’étais forcément impressionné, poursuit le jeune homme de vingt-deux ans, mais il s’est adressé à nous très simplement. On avait l’impression qu’il vivait ici depuis une éternité. »
TOURNOI DE FOOT AVEC LES ULTRAS
En fait, c’est un peu comme si André-Pierre Gignac avait tout compris d’un certain particularisme mexicain. S’il assume sur le terrain son statut de joueur le mieux payé du pays – l’attaquant occupe actuellement la tête du classement des buteurs de la LigaMX –, il se fond dans le décor en dehors, dans un pays où « nous aimons être avec les autres sans nous différencier », comme l’a formulé l’écrivain mexicain Juan Villoro dans un ouvrage dédié au football. Loin de se contenter de vivre dans sa tour d’ivoire, l’ex-Marseillais passe fréquemment des moments avec les Libres y Lokos, en bon camarade. Bien avant sa visite au mercado Fundadores, Gignac était ainsi descendu des collines bien gardées de San Pedro – ville la plus riche d’Amérique latine située au sud de Monterrey où se regroupe l’élite économique locale – pour participer à un tournoi de foot organisé par les ultras locaux afin de lutter contre les addictions. « On l’avait simplement invité à y assister, nous confie Sam Reyes, l’un des responsables de la barra, mais il a voulu jouer, en se préservant évidemment, même s’il nous donnait des indications et a même inscrit son petit but. » « On l’a remercié pour son humilité », ajoute ce gestionnaire d’entreprises de trente-cinq ans devant la boutique Libres y Lokos du mercado Fundadores, où sont vendus tee-shirts et autocollants à l’effigie du Français. Au terme de sa visite, Gignac avait également confié à Jonathan Llanes qu’il se sentait bien plus à son aise dans ce genre d’ambiance que dans les centres commerciaux luxueux de San Pedro. « Il a visité tous les stands, le sourire aux lèvres. Si le parking du marché n’avait pas fermé, assure Llanes, il serait bien resté encore un long moment. (Rire.) » Désormais, au mercado Fundadores, des badauds s’arrêtent devant la boutique de skate Paranoïa pour signaler que Gignac y est passé, comme s’ils venaient en pèlerinage. « À Monterrey, la passion pour le football est impressionnante, commente l’ex-joueur des Tigres Omar Arellano. C’est une sorte de soupape de sécurité pour la population. »
AU CŒUR DU VOLCAN
Neuf mois peuvent-ils suffire à devenir une idole ? À Monterrey, ville encerclée par des montagnes au relief ciselé, tout indique que la réponse est positive. Et cette courte période aura suffi à ce que le Français développe, de son côté, un fort sentiment d’appartenance à son nouveau club. Cela pourrait être considéré comme une simple affaire de courtoisie, Gignac se devant de rendre la monnaie de sa pièce à un employeur qui lui a offert un contrat en or. Mais Tigres, habitué à payer royalement ses étrangers, en a vu passer des dilettantes et autres mercenaires. Ébahi par le Volcan, surnom du stade toujours comble des Tigres, par ces supporters qui ne cessent de chanter pendant quatre-vingt-dix minutes, par la ferveur latino-américaine, l’international français semble tout simplement s’épanouir dans ce pays où personne ne s’attendait à le voir poursuivre sa carrière quand son contrat avec l’OM a pris fin. « Si vous faites une recherche sur Internet, vous pourriez avoir une image négative de Monterrey, estime Llanes, mais Gignac nous dit que la ville est plus tranquille que Marseille. Il se sent déjà comme à la maison ici, et s’est déjà fait de très bons amis. » Conquis, le Français tient d’ailleurs à faire partager son enthousiasme à son cercle le plus intime. Quand des proches et amis sont allés lui rendre visite à la mi-février, il a ainsi tenu à leur faire vivre un match dans la partie la plus brûlante du Volcan, autrement dit au cœur de la tribune occupée par la barra. « Il nous a dit : “Je pourrais les envoyer en loge, mais je préfère qu’ils vivent cette expérience ”, raconte Sam Reyes. Après le match, ses proches nous ont remerciés pour ce moment inoubliable. »
TATOUAGE POUR LA FAMILLE
Gignac a les Tigres dans la peau. Pour le prouver, il a d’ailleurs incité son jeune frère et son père à se faire tatouer, à la mi-février. Dans sa boutique du centre-ville, César Ritual, tatoueur à la renommée nationale, nous raconte : « Le contact s’est noué via un leader des Libres y Lokos qui connaissait mon travail. Gignac m’a reçu dans sa maison et m’a demandé à ce que je tatoue le logo des Tigres et le numéro 10, celui de son maillot, dans le dos de son père. Le lendemain, je suis revenu pour tatouer un symbole du club au niveau du cœur pour son frère. L’ambiance était vraiment sympa, on était une vingtaine à table, des amis français, des membres des Libres y Lokos aussi. À l’un d’eux, il a offert un maillot, tu sens qu’il cherche toujours à faire plaisir. D’ailleurs, au moment de me donner mon pourboire, il a aussi été très aimable. (Rire.)» Cheveux longs teintés en gris, barbichette de satyre et bras musclés couverts de tatouages, César Ritual est souvent sollicité par des footballeurs de tout le pays, dont des photos mangent une bonne part de son mur dédié à ses clients les plus célèbres. « J’en ai tatoué des joueurs, confirme-t-il, mais aussi humbles et aimables que lui, très peu. D’ailleurs, j’en ai la chair de poule quand j’en parle. » Quoi qu’il en soit, Gignac n’est pas passé sous son aiguille. « Il m’a dit qu’il aimait bien se sentir différent, assure César Ritual, conserver ce look propre. » Le Français a toutefois gardé des séquelles de cette rencontre puisque sa teinture de cheveux, qui a beaucoup fait parler au Mexique et en France, est directement inspirée du look du tatoueur. « Il voulait cette coupe pour le clasico de Monterrey », assure César Ritual. Depuis que Gignac a étrenné sa coiffure, une épidémie de jeunes hommes aux cheveux gris s’est déclarée à Monterrey.
LE JOUEUR DE RÉFéRENCE
DE LA LIGA
Mais ces relations chaleureuses, horizontales, ces clins d’œil aux supporters, tout cela ne serait rien, ou serait bien vain, si Gignac ne s’était pas montré particulièrement performant sur le terrain. À ceux qui pensaient qu’il venait se dorer la pilule au Mexique, l’avant-centre a répondu par des prestations pleines d’allant, et, bien sûr, par des buts en série : 23 en 31 matches de Championnat. Selon son entraîneur, Ricardo « el Tuca » Ferretti, l’international français, loin de vivre sur ses acquis, ne penserait d’ailleurs qu’à progresser chaque jour. « Avec André, on a beaucoup échangé sur la nécessité de toujours s’améliorer, nous dit-il. Lui-même m’a mentionné certains compartiments de son jeu qu’il voulait améliorer, et on travaille dans ce sens pour que le très bon joueur qu’il est devienne un véritable grand joueur. Pour cela, il est disposé à travailler dur tous les jours. » Ce volontarisme de Gignac, qui ne se contente pas de fulgurances sur le terrain, mais prêche également par l’exemple en accumulant les kilomètres, lui vaut non seulement d’être adoré par les fans des Tigres, mais aussi d’être admiré par tout un pays. « Je suis fan des Rayados, mais je respecte énormément ce joueur », nous disait ainsi César Arriaga, quarante-deux ans, à l’aéroport de Monterrey. En décembre dernier, le jour de la finale retour du Championnat du Tournoi d’Ouverture 2015, à Mexico, tous les fans des Pumas rencontrés jetaient également des fleurs à celui qui était leur adversaire du soir. Au Mexique, personne n’objectera que Gignac est devenu le joueur de référence de la LigaMX. Au mois de février, ils étaient ainsi près de 25 000 à accourir au stade quand les Tigres ont disputé un match de Championnat sur terrain neutre, à Puebla, face au petit club des Jaguares Chiapas. « Franchement, il n’y avait quasiment pas de fans des Tigres ou des Jaguares, nous assure Sam Reyes. Les gens étaient venus voir Gignac, ils l’applaudissaient dès qu’il touchait la balle. Il possède une mentalité différente, il sait que le public est un facteur important pour gagner un match et il aime interagir avec les supporters. »
CONFIDENCES
EN LIBRAIRIE ?
L’extraverti Gignac, qui s’est aussi intégré au sein du vestiaire de manière expresse, se montre toutefois beaucoup plus timide avec la presse locale, pour ne pas dire totalement mutique. Les journalistes habitués à couvrir les Tigres ne l’ont ainsi jamais vu en conférence de presse, et assurent que le Français a d’abord justifié ses silences répétés par sa mauvaise maîtrise de l’espagnol. Une peur de ne pas se faire bien comprendre qui l’aurait conduit à adopter une attitude de retrait. Mais l’ancien Marseillais n’est pas plus disert avec les quelques journalistes français qui ont fait le voyage à Monterrey. Il peut, à l’occasion, discuter aimablement, mais ne donne pas d’interview. En réalité, derrière ce silence médiatique, il y aurait la préparation d’un livre dont la sortie devrait libérer sa communication. Les Tigres n’auraient-ils toutefois pas intérêt à faire parler leur star pour profiter des retombées médiatiques ? Cela paraît indéniable, mais l’employeur de Gignac est adepte d’une politique de communication hermétique au possible. Très peu d’entretiens individuels, et dix minutes d’échauffements ouverts à la presse pendant la semaine.
Il faut donc se contenter d’entendre au loin les cris du caractériel et truculent Ricardo Ferretti. Ou de lui poser des questions en conférence de presse. À propos de son avant-centre, le coach des Tigres poursuit, avec le sourire : « Il a marqué des buts de tout type, même des retournés, mais on ne cesse de travailler son efficacité, jambe droite, jambe gauche, jeu de tête. On est contents, mais lui est conscient qu’il peut et doit s’améliorer, pour son bénéfice et celui de l’équipe. » Une relation donnant-donnant qui lie Gignac à son coach, à son club, à sa nouvelle ville, et à son nouveau pays d’adoption. Une belle histoire qui a fait fleurir les maillots de l’équipe de France dans Monterrey et ses alentours. Une histoire sans précédent qui pourrait bien le conduire jusqu’à l’Euro en France.