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Depuis 1993, vous avez soulevé pas mal de trophées. Ce succès-là, le premier à un tel niveau, a-t-il gardé un goût particulier ?
Bien évidemment, le premier trophée important que l'on soulève reste le premier. J'ai eu la chance et le privilège d'en gagner beaucoup derrière, mais là, c'est le début de carrière, le trophée le plus important que l'on pouvait gagner avec un club et c'est la première victoire d'un club français et ça le restera.
Trente ans, c'est loin, mais on va tester votre mémoire : Basile Boli a-t-il marqué du pied droit ou du pied gauche ?
Je pense que c'est du pied gauche, mais il avait un bon pied gauche et un bon pied droit (dit-il en indiquant la partie gauche, puis la partie droite de son front, Ndlr). Je le dis en rigolant. J'en ai une autre à son sujet : quand on allait jouer à Auxerre, il faisait participer les spectateurs, parce qu'il envoyait beaucoup de ballons en touche. Non, il avait ce jeu de tête de très très haut niveau et heureusement puisque depuis, c'est Casque d'or, alors qu'avant, c'était juste Casque. Ce but-là nous permet de gagner la coupe d'Europe.
Vous êtes le joueur de champ le plus éloigné au moment du but, qu'est-ce que vous voyez ?
Je suis en train de verrouiller au cas où, parce que mon jeu de tête était moins décisif que le sien. Je vois le duel et les filets qui tremblent. En face, il y avait du répondant, avec Rijkaard, des athlètes. Basile coupe la trajectoire et ce petit but nous mène au sacre. Basile Boli est toujours associé à son coup de tête.
Vous à un autre geste technique que vous avez répété souvent par la suite : le soulever de coupe...
Je ne le savais pas à ce moment-là. C'est pourquoi, comme mes coéquipiers, j'ai savouré, parce qu'on ne sait jamais si on aura encore l'opportunité de gagner un titre. De là à imaginer que je pourrais en gagner beaucoup derrière... On fait tout pour. C'était une bonne préparation. Quand on commence à gagner des titres, on ne se rassasie jamais, jamais de soulever des coupes. La première grande victoire, c'est celle qui a offert des ouvertures vers l'étranger. Dans cette équipe-là, le fait d'avoir joué contre le Milan AC, ça a permis à beaucoup d'entre nous de partir en Italie.
Six des 11 titulaires Olympiens ont été recrutés par des clubs italiens : Franck Sauzée, Alen Boksic, Marcel Desailly, Jocelyn Angloma, Abédi Pelé et vous. Les Italiens vous en ont longtemps parlé de cette finale ?
Il y a eu beaucoup d'autres rencontres par la suite, notamment entre nos équipes nationales, lors de la coupe du monde 1998. Alors, oui, les joueurs du Milan AC s'en souviendront, mais comme ils se rappelleront aussi leurs succès avant et après, puisqu'ils la gagnent encore en 1994. C'était une machine à gagner. On a réussi à leur prendre cette coupe d'Europe, programmée pour eux. Il ne faut pas oublier l'histoire, mais vivre avec son temps. Ceux qui ont moins de 35 ans aujourd'hui, même les purs et durs, ne l'ont pas vécue. Alors, on transmet, les cassettes de l'époque sont transformées en DVD, il y a des photos, ça fait partie de l'histoire.
À propos d'histoire, le 12 juillet 1998, vos premiers mots sont pour souligner que la victoire des Bleus, c'est l'héritage de l'OM de 1993...
Oui, parce qu'on a eu cette culture, on a été habitué à ça quotidiennement et ça s'est accentué dans les clubs italiens. Je me souviens de la une d'un journal transalpin, après notre succès sur l'Italie en quarts de finale de la coupe du monde : "On a créé des monstres", parce que nous étions huit à évoluer ans le Calcio. Marseille a été une étape, parce que lorsqu'on commence à gagner, on s'habitue. Je ne dis pas qu'on doit tout répéter, mais l'expérience démontre qu'on ne doit pas banaliser l'expression "culture de la gagne". Ce sont des petits détails au quotidien et quand on baigne là-dedans, ça conduit à aller chercher d'autres succès.
Mais est-ce que ce 26 mai 1993, c'est aussi pour l'OM le fruit de ses déboires passés : l'élimination à Benfica avec le bras de Vata, la finale perdue à Bari ?
Peut-être. On se nourrit de ses expériences. Benfica, j'y étais, Bari non. Dans la préparation d'avant-match, c'est ce qui a amené Bernard Tapie, Jean-Pierre Bernès et Raymond Goethals à beaucoup de réflexion et à modifier tout l'avant-match. Bari, c'était ultra-protégé, trop, alors qu'à Munich c'était très décontracté, ce qui ne nous empêchait pas d'être concentrés. À l'opposé de ce qui s'était passé en 1991. Le succès au bout donne raison à ceux qui l'ont décidé. On se nourrit de ses expériences et plus on connaît la situation, même si ce n'est pas au même endroit, pas avec les mêmes joueurs, plus ça permet de mettre de côté ce qu'on ne doit pas faire. Quant à trouver ce que l'on doit faire... Ça se joue tellement à peu de chose... Mais au moins, on évite de se mettre des bâtons dans les roues.
Il y a une différence d'approche entre ceux qui avaient vécu Bari et les autres, plus frais, ou encore le seul qui avait déjà gagné un trophée de cette ampleur, Rudi Völler, qui avait remporté la coupe du monde ?
C'est un ressenti personnel. Le fait d'avoir déjà gagné une coupe du monde pour Rudi Völler, ça amène plus de sérénité et c'est communicatif. Quand vous avez plus de stress, de doutes, c'est communicatif aussi. Donc, plus il y a d'ondes positives, mieux c'est, les joueurs habitués à gagner ont tendance à tirer les autres vers le haut. La fraîcheur oui, mais elle s'accompagne d'incertitudes. Moi, je sais que cette finale m'a énormément servi pour les suivantes. J'avais perdu beaucoup d'énergie psychologique à vivre cette finale avant, dans ma tête. Je me sentais tellement bien à l'échauffement et en début de match, puis au bout d'un quart d'heure, j'ai eu l'impression qu'on avait coupé l'électricité. Je n'avais plus de jambes. Avec le recul, je pense que c'est le fait de s'imaginer le match avant, ce n'est pas de la dépense énergétique sur le plan physique mais sur le plan psychologique. Alors ceux qui ont déjà gagné gèrent tout ce qui est à l'extérieur et qui peut conditionner les acteurs.
Expérience est le mot magique mais quand c'est la première fois, l'expérience elle est nulle. Alors, on apprend...
Il y en a un sans expérience qui n'était pas stressé du tout...
Fabien (Barthez) ? Non mais lui, c'est sa nature, il cherchait même ses gants quand on a fait la photo ! Chaque individu est différent. En plus, certains qui dégagent une grande tranquillité sont peut-être des faux tranquilles et à l'intérieur, ça bouillonne. La perception de ce qui entoure l'événement peut se révéler totalement différente.
Vous dites que vous n'aviez plus beaucoup de jambes au bout d'un quart d'heure, pourtant, la seule occasion de l'OM en dehors du but, c'est vous qui la donnez à Rudi Völler...
J'arrivais à faire ça à l'époque ? Je sortais de mon registre ? Non, j'ai senti que je n'étais pas bien et dans ma tête, je me disais : "Non, pas aujourd'hui ! Pourquoi aujourd'hui ?", alors j'ai paré à l'essentiel, je n'avais pas besoin de faire des accélérations, de déborder et centrer.
Mais le fait de mener à la pause nous allait bien, parce qu'au cours de cette saison, qui n'a pas été fluide, chaque fois qu'arrivait un match test, notre équipe dégageait beaucoup de solidarité. La force collective est très importante.
On a l'impression que ce sont vraiment les difficultés qui vous ont fait grandir, collectivement et individuellement...
Oui, c'est vrai. Il y a eu des moments chauds. Je me souviens de la défaite à domicile contre Nantes en championnat. Ça avait chauffé avec Bernard Tapie qui ne mâchait pas ses mots. Il y a eu plusieurs tournants où il fallait répondre présent et cette force, on l'avait. Au cours de cette finale, cela a été très important.
En reculant encore d'un an, à l'été 1992, avec tout ce qui s'est passé au printemps (Furiani, Euro 92 raté, départs de JPP, Waddle, Mozer), vous imaginiez gagner la coupe d'Europe ?
C'était l'objectif du club et de Bernard Tapie. Une fixation. Il faisait tout pour ça. À cette intersaison, il avait décidé de changer beaucoup de joueurs, parce qu'il fallait plus de fraîcheur, qu'il y avait peut-être une usure, je ne sais pas. Ses choix lui ont donné raison.
Alors, c'était l'objectif, mais de là à penser qu'on allait y arriver... J'ai toujours eu des pensées positives mais il y avait des étapes à franchir. Le format n'était pas celui d'aujourd'hui, mais une fois arrivés en finale, on se rapprochait du but.
Parmi les joueurs transfigurés en cours de saison, il y a votre ami Marcel Desailly. Comment s'est opérée son ascension et quel rôle avez-vous joué ?
J'ai connu ça avant lui. Ce n'est pas évident de venir d'un club de province, familial, le FC Nantes, et d'arriver à Marseille où c'est l'effervescence, l'exigence. J'avais connu ces difficultés, liées à notre président, Bernard Tapie, qui me bloquait, qui m'impressionnait, jusqu'à ce que je passe le cap. Marcel a même été faire des matches en réserve, en troisième division.
C'était et c'est toujours mon ami, je l'ai aidé, mais c'est surtout son mérite que d'avoir fait la bascule. C'était un compétiteur et ce qu'il a accompli par la suite le prouve.
Je n'oublie pas non plus le rôle de quelqu'un dont j'étais proche, Bernard Casoni, qui était capitaine, a perdu sa place en cours de saison et n'a donc plus été capitaine.
C'est pourquoi, quand nous sommes revenus avec la coupe d'Europe, j'ai voulu qu'il soit à côté de moi, à tenir la coupe à deux, parce que pendant six mois, c'était lui qui portait le brassard et qu'il a eu un rôle important, même s'il n'a pas joué cette finale, comme Pascal Olmeta.
Il y avait un groupe, mais avec Raymond Goethals qui passait beaucoup plus de temps avec les titulaires qu'avec les remplaçants, il fallait que nous, les joueurs, nous dégagions cette unité-là.
Qu'est-ce que ça a changé pour vous de devenir capitaine ?
Capitaine ou pas capitaine, quand j'avais à parler, je parlais. J'avais plus de discussions en tête à tête avec Bernard Tapie. J'ai donc dû juste caler les horaires des appels téléphoniques parce que je me couchais plus tôt et que je ne voulais pas avoir des discussions nocturnes.
Évidemment, après, le privilège du capitaine, c'est de soulever le trophée en premier. Mais avant ou après, je n'ai pas toujours été capitaine et j'ai quand même joué mon rôle. L'essentiel, c'est que ce brassard ne soit pas un poids que l'on traîne au quotidien.
Le préparateur physique, Roger Propos nous a raconté qu'au moment de l'échauffement, Bernard Tapie lui avait demandé pourquoi il n'était pas au milieu de vous pour vous diriger et il avait répondu qu'au moment du match, vous seriez seuls et ainsi mieux préparés. Est-ce que finalement cette capacité à l'autogestion n'était pas l'une de vos forces principales ?
C'était une qualité importante. Assumer nos responsabilités. Peut-on le faire avec certains joueurs plutôt qu'avec d'autres ? Nous étions effectivement dans l'autogestion et cela s'est retrouvé ensuite en équipe de France.
Nous savions de A à Z comment s'échauffer. Alors pourquoi intervenir. J'agis parfois ainsi aussi avec mon staff en équipe de France. Il faut s'adapter à chaque situation. Cette autonomie relative peut être associée à une force, individuelle et collective. La force collective sera toujours plus importante que la force individuelle.
Sur le papier, il faut être réaliste, si on met côte à côte les deux équipes, Milan nous était largement supérieur. Mais sur un plan collectif, nous avions un peu plus qu'eux.
Le management de Raymond Goethals y était pour beaucoup ?
Oui. Dans cet environnement méridional où, quand c'est bien, c'est très bien et où, quand c'est mal, c'est très mal, lui, il avait ce recul dû à l'expérience, il aimait plaisanter. En plus de sa compétence.
Au cours de nos discussions, il me disait parfois : "DD, DD, j'ai vu, j'ai entendu, mais je n'ai pas vu et pas entendu..."
Il allait à l'essentiel. Lui aussi, c'est un personnage capital dans notre succès. Avec Jean-Pierre Bernès dont il était très proche au quotidien. Mais aussi, Roger Propos et Jean Fernandez.
Avant le match, quel est le plan ?
Nous savions que nous n'aurions pas la maîtrise, qu'il fallait être très solides défensivement, mais que nous aurions des opportunités, avec Boksic, Völler et surtout Pelé face à Maldini. Le grand Paolo, sur les matches où il avait été confronté à un gaucher, il pouvait être en difficulté.
Ça a parfois été le cas. Bien défendre était indispensable mais nous avions aussi des arguments offensifs à faire valoir. Même si, au cours des vingt premières minutes, nous sommes dans l'eau, sous l'eau, ça aurait pu tourner au naufrage total.
S'il n'y a pas Fabien dans sa meilleure forme, le résultat aurait été différent.
L'entrée de JPP, c'est un coup de pression ?
C'est très particulier. Je ne sais pas comment lui l'a ressenti. J'ai beaucoup d'empathie et je fais en sorte de me mettre à la place des autres. Lui, avec ce qu'il avait vécu, son attachement à l'OM, se retrouver l'année de son départ, à jouer une finale de Ligue des champions face à son équipe de coeur où il était programmé pour être champion d'Europe...
Avec son entrée, le Milan avait un atout offensif de plus, même s'il s'est un peu chauffé avec Éric Di Meco. Ça n'a pas dû être facile à vivre pour lui...
En dehors des arrêts de Barthez et du but, on ne garde pas grand-chose comme souvenirs visuels de ce match...
C'est déjà pas mal...
Après, votre solidité a découragé les Milanais...
Nous avions ce sentiment de force et de solidité. Pour en avoir reparlé avec mes partenaires, à la mi-temps, j'avais la conviction que les Milanais pouvaient faire ce qu'ils voulaient, ils ne nous marqueraient pas un but. Il y a eu très peu de danger. La deuxième période a été plus équilibrée que la première. Ce but d'avance était le scénario idéal.
Il paraît qu'au retour, quand vous arrivez au Vélodrome, vous faites remarquer à Bernard Tapie qu'il n'y a personne devant le stade...
Non, le Prado était noir de monde. Alors, j'ai dit : "Mais pourquoi ne sont-ils pas plutôt dans le stade ?"
Le problème, c'est que le stade était déjà plein. Alors, que les autres étaient dehors...
Dedans, c'était extraordinaire ?
Dedans, dehors, depuis l'aéroport... Et dans les jours qui ont suivi, heureusement qu'il y avait un petit match contre le PSG le samedi, ça nous a freiné question fête. Ça aurait pu être moins raisonnable.
Il y a même eu, plus tard, un tour d'Aubagne avec les pompiers et la coupe sur la voiture des pompiers...
Oui, on l'a fait avec Caso et Thomas. C'était gentillet. Il y a tellement de gens qui sont plus qu'animés par la passion. Et c'est spécifique au sud, dans chaque pays.
La météo, c'est le match de l'OM. L'OM gagne le week-end, ça conditionne la semaine. L'OM prend le pas sur la vie privée. C'est comme une religion, ça prend une place folle.
Alors, quand il y a le succès, ils vous le rendent un million de fois.
Quel bonheur de partager cela !
OM-Milan, OM-PSG, l'OM-Vitrolles handball qui gagne la coupe d'Europe, cette semaine-là, Marseille est la capitale du sport européen ?
À ce moment-là, le centre du football était Marseille. Ça concernait toute la France. Et enhandball aussi. Toute la région était mise en lumière. Entre nous, sportifs, ça se passe toujours bien, mais c'est vrai que le foot prend une telle place par rapport aux autres sports. Les handballeurs avaient autant sinon plus de mérite que nous, mais une reconnaissance moindre.
Célébrer encore la victoire trente ans après, ce n'est que de la nostalgie ou il y a autre chose ?
Ne soyons pas nostalgiques. Il y a d'abord le plaisir de se retrouver. Nous sommes unis par cette victoire. Pouvoir la fêter, c'est rappeler que ça restera à tout jamais la première. Il est regrettable, c'est même une anomalie qu'il n'y en ait pas eu d'autres depuis trente ans et j'espère qu'il ne faudra pas attendre trente ans de plus.
Mais cette victoire reste la première. Les trentenaires n'attendent qu'une chose : pouvoir connaître ça de leur vivant. Heureusement, il y a les parents, les grands-parents pour raconter les anecdotes, faire revivre ces moments-là.
Il faut vivre avec son temps mais avec un devoir de mémoire sur l'histoire. Sans y faire toujours référence, mais ce qui s'est produit a permis d'avoir des lendemains plus ou moins heureux.
La Provence