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Ayew fils de Pelé
A 20 ans, André Ayew, le cadet de l'ancien Marseillais Abedi Pelé, a vécu l'incroyable odyssée d'Arles-Avignon, promu en Ligue 1. Contraint par l'OM, son club formateur, d'aller revoir ses gammes avec une équipe plus modeste, il a su s'imposer en toute simplicité. Présélectionné pour la Coupe du Monde avec le Ghana, il est en passe de quitter l'ombre du père.
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Le poulet yassa attendra. Les potes de Marseille aussi, tous amassés dans son trois pièces pour un dîner africain qui s'annonce débridé. Car André Ayew a tant à fêter. D'abord la montée de l'AC Arles-Avignon en Ligue 1, obtenue la veille, qui sidère le football français. Ensuite, une saison "très compliquée au départ, épuisante et, finalement, magnifique." Puis le départ le lendemain vers Accra pour sept jours de repos au pays avant de rejoindre le stage du Ghana d'avant Coupe du monde. "Si je reste parmi les 23 sélectionnés, alors ce sera le couronnement !" Autant de sujets que le garçon de 20 ans accepter d'aborder à l'improviste samedi dernier, au Baroque, un bar du centre-ville d'Arles, le débit aisé et la pupille claire malgré une nuit effrénée sur les dancefloors de la Cantina et du Bokao's, à Avignon. Au moment de commander un diabolo grenadine, un de ses deux Blackberry vibre : "Salut papa, je te rappelle plus tard..." D'Accra, Abdei Pelé venait aux nouvelles du fiston.
"Je veux démontrer que je peux gagner ma place dans le football français. Cette accession surprise va y contribuer. Cette année, on a vu le vrai André. Moi, je n'avais pas peur de prendre le risque de venir à Arles-Avignon." Allusion aux avis peu cordiaux entendus, fin août 2009, au moment de son prêt par l'OM. Plus maigre budget de Ligue 2 (5,7 M€), club à peine doté d'un stade et d'une secrétaire à plein temps, effectif hétéroclite formé d'apprentis pros et de vétérans sur le retour (Sébastien Piocelle, Kaba Diawara), André Ayew n'ignore alors rien de son nouvel environnement. Pendant les deux premières semaines, il doit même laver bas, shorts et chaussettes. "On me parlait d'enterrement de troisième classe. Moi, je voyais l'occasion de montrer ma valeur à mon vrai poste : milieu relayeur."
Aujourd'hui il engrange les bienfaits de son pari réussi. L'avenir s'est éclairci. L'été dernier, de retour d'un prêt sans éclat à Lorient (22 apparitions en Ligue 1), il en était surtout à encaisser le jugement tranché de Didier Deschamps, nouvel entraîneur de Marseille : entraînement avec la réserve et placement sur la liste des transferts. André Ayew connaît alors le
premier accident de sa carrière d'enfant gâté. Avant cet accroc, tout lui réussissait mieux et plus vite que ses camarades de promotion : lancement en Ligue 1 en août 2007 (par Albert Emon) à 17 ans, débuts en Ligue des champions trois mois plus tard face à Porto (avec Eric Gerets) et première sélection avec le Ghana la même année.
"Jusqu'à l'an passé, André n'avait jamais souffert, explique Abedi Pelé, joint au téléphone lundi soir. Sur le coup, il a compris que la vie n'était pas si simple. Il fallait qu'il repose les pieds sur terre. Lui, il a mangé de la viande tous les jours de sa vie. Moi, enfant, les bons jours, je partageais un plat de riz avec une vingtaine de frères, de soeurs, de cousins..." Chaque
matin, il fallait aussi aller chercher l'eau au puits.
André Ayew, lui, a vu le jour à Seclin, arrondissement de Lille, peu avant Noël 1989, époque où son géniteur diffusait son talent sous le maillot du LOSC. Ensuite, ce fut Marseille, Lyon, Turin, Munich, au gré des transferts paternels. Puis un début d'adolescence dans la belle demeure d'East Legon, à Accra jusqu'à l'entrée au centre de formation de l'OM à 14 ans et demi.
Une ascension linéaire qui a pu l'imprégner d'un surcroît d'aisance. Abedi Pelé : "Quand on est jeune, c'est très compliqué de gérer les privilèges économiques hérités des parents. Mais le 4 x 4, la grande maison, l'argent ou le nom du père ne font pas une carrière de footballeur. Il faut savoir rester humble, sinon on se perd."
Abedi, à son arrivée en France (1986), avait d'abord brillé en Deuxième Division, à Niort. D'où son aval quand l'offre d'Arles-Avignon est transmise à son fils en août dernier car, "là-bas, c'est le même ballon que partout ailleurs !" Même si l'ancienne idole du Vélodrome confie qu'il a craint pour la carrière du fiston (voir encadré). André Ayew a-t-il pressenti la menace ?
Lui qui rêvait de titres avec l'OM se voit écarté par son club de coeur et envoyé dans les bas quartiers de la Ligue 2, avec un salaire amputé de moitié au passage. Coup de chance, il est emporté par l'euphorie qui s'empare d'Arles-Avignon sous la conduite de l'entraîneur Michel Estevan. Le benjamin du groupe se met au diapason du bon esprit du cru et finit par imposer sa justesse de gaucher et son activité au milieu de terrain. "L'argent, les conditions d'entrapinement, peu importait. Je voulais juste jouer. C'est de mon âge, non ?"
Les anciens l'instruisent sur la réflexion tactique, le dépouillement de son jeu, la récupération... "Selon eux, je ne me rends pas compte de mes qualités, je mérite mieux que la Ligue 2." Il termine le Championnat avec 25 matches, 4 buts, 3 passes décisives. Et glane cette invitation de Didier Deschamps dans la Provence du 16 mai : "La saison prochaine, André Ayew sera avec nous."
Contrepoint au commentaire lancé en octobre dernier par José Anigo, directeur sportif de l'OM : "Comme André a tendance à se croire arrivé, nous avons choisi de le mettre au pain sec." L'affirmation visible du jeune Ghanéen doit aussi beaucoup aux deux séjours prolongés en Afrique qui ont jalonné sa saison. D'abord l'Egypte, à l'automne 2009, pour la Coupe du monde des moins de 20 ans. Il est le capitaine des Black Satellites qui arrachent le trophée le 16 octobre face au Brésil (0-0, 4 tab à 3.) après une finale homérique. "Depuis, je sens qu'au pays les gens placent beaucoup d'espoirs en moi."
Comme symbole d'une génération montante au côté de Dominic Adiyiah (AC Milan) et Samuel Inkoom (FC Bâle). Trois mois plus tard, André Ayew grimpe encore une volée de marches lors de la CAN disputée en Angola. Le Ghana, amputée de ses
hommes forts (Muntari, Mensah, Essien, Paintsil, Appiah, etc) n'échoue qu'en finale, face à l'Egypte (1-0). Le petit gars d'Arles-Avignon ne parvient pas à imiter son père, gagnant de la CAN 1992, mais maintient son rang de titulaire de bout en bout malgré son âge.
"Je n'étais plus le petit chouchou des grands qui vient et ne dit rien. Comme ils étaient absents, j'ai pris des responsabilités. Cette fierté m'a donné une confiance qui ne m'a plus quitté depuis." Au bout d'une saison sans le moindre temps mort, André Ayew mesure le chemin parcouru dans le miroir tendu par les médias. Il y reste le fils d'Abedi mais le ton a changé. "Je passe moins pour le petit garçon de service, on m'accorde plus de chair, plus de consistance..."
Bientôt 22 heures. Olivia, sa copine, lui adresse un signe timide. Il est temps de prendre congé. Les clients du Baroque le conjurent de rester du côté d'Arles-Avignon. Il ne répond pas vraiment, car les offres de clubs plus huppés ne manquent pas. A la maison, les convives s'impatientent. Il est temps d'aller faire dorer le poulet et revenir les oignons pour la sauce.
Christophe Larcher
André Ayew
20 ans, né le 17 décembre 1989 à Seclin
1,76 m ; 72 kg
Au moment de l'article : 18 sélections, 1 but
2000 : S'installe au Ghana avec ses parents
2004 : Centre de formation de l'OM
2007 : Débute en Ligue 1, en Ligue des champions et en équipe nationale
2008 : Est prêté à Lorient (L1)
2009 : Est prêté à Arles-Avignon (L2)