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Mauvaise chute
Longtemps incontournable chez les Bleus et en L1, l’ancien Marseillais ne l’est plus nulle part. En six mois à Lyon, il a perdu gros, y compris peut-être ses chances d’aller à l’Euro. FF a enquêté pour savoir comment il a pu perdre pied. Et s’il peut se relever.
C’était il n’y a pas si longtemps. Sept mois. C’est quoi, sept mois, dans la vie d’un homme ? Pas grand-chose. C’était il n’y a pas si longtemps et Mathieu Valbuena était quelqu’un d’important. Pour la conférence de presse de son arrivée à Lyon, les décideurs s’étaient endimanchés, avec ce qu’il faut de négligé pour supporter la chaleur de ce 11 août 2015. Hubert Fournier avait déboutonné le col de sa chemise blanche, le président Aulas avait dénoué sa cravate et Bernard Lacombe avait assorti la sienne à sa veste bleu nuit. Les déclarations étaient de circonstance, la fierté non feinte de récupérer un cadre de l’équipe de France. Pourtant, il se murmure déjà que tout le monde à la table n’était pas pour ces fiançailles à la hussarde entre un club qui s’est hâté de recruter pour aborder une Ligue des champions, où ses jeunes ont si peu de vécu, et un trentenaire rapatrié d’urgence parce que son club du Dynamo Moscou vient justement d’être radié de cette C1. Qu’importe si Valbuena porte en lui l’image d’un autre Olympique où il a passé huit ans, ce qui a « d’entrée posé certaines questions » à en croire Élie Baup, qui l’a entraîné à l’OM où « Mathieu est devenu un pur Marseillais ». Qu’importe si le cœur du réacteur du jeu lyonnais est nourri de la complicité de mômes devenus des hommes et des pros ensemble à Tola-Vologe, avec ce que cela comporte de réticences envers l’extérieur. Et qu’importe si ce recrutement semble être le choix du président Aulas plus que celui de son coach et de son conseiller Bernard Lacombe. Devant les micros, ce dernier garde d’ailleurs son sens de la formule. « Quand on rencontrait l’OM et que Mathieu ne jouait pas, on se disait : “ Tant mieux ’’ ! »
Statistiquement, l’OL est meilleur sans lui. C’était il n’y a pas si longtemps et cette phrase-là résonne cruellement tant, sept mois après, il se dit exactement l’inverse. Désormais, c’est quand Mathieu Valbuena joue que les adversaires de l’OL disent « tant mieux ». Il n’y a rien de sarcastique dans ce constat, ce sont les chiffres qui le sont : Lyon gagne plus et mieux en L1 sans Valbuena (50 % de victoires et 1,9 but par match) qu’avec lui (40 % de victoires et 1,43 but par match). Ç’a été pire en C1, où l’OL n’a gagné qu’une rencontre, sans lui, et a perdu toutes les autres, avec lui. Coïncidence ? Consultant sur Canal+, Éric Carrière a lancé à l’antenne : « Avec Valbuena, le jeu manque de fluidité, il y en a plus quand il ne joue pas. Comme par hasard, Lyon a retrouvé son jeu de l’année dernière quand il a été absent. » Le même Éric Carrière disait pourtant à l’arrivée du même Valbuena : « C’est une très bonne recrue, il va bien s’entendre avec Lacazette et Fekir. » C’était il n’y a pas si longtemps et il s’est passé tant de choses depuis dans la vie de l’OL comme dans celle de Valbuena. Des coups francs et certains qui l’étaient moins, des coups de stress et des coups de moins bien, sur le terrain comme plus loin, jusque dans les prétoires de la justice. Contre-performances, malentendus, affaire salace et trahison, le lutin a connu tant de désillusions depuis sa venue à Lyon qu’il en a perdu son allant. Si ses proches gardent le silence, l’un d’eux consent à reconnaître sous couvert d’anonymat : « Il a pris un grand coup dans la gueule. »
« Ça lui a tapé sur le carafon. » C’était il n’y a pas si longtemps, et Gérard Davet, l’un des deux journalistes du Monde à l’avoir interrogé en novembre à propos de l’affaire de la sextape, se souvient d’avoir éprouvé la même impression. « On a rencontré un homme blessé, touché, qui se sentait trahi. Ça lui a tapé sur le carafon. Déjà qu’il n’était pas au top à l’époque... » Pour une fois, sans doute la première, Valbuena le vaillant est atteint. Éteint. Il en a pourtant vu d’autres, a encaissé tant de sarcasmes et de brimades, de désillusions et de défiance, dont il s’est toujours relevé, comme l’a dit plusieurs fois Carlos, son père : « Mathieu a toujours entendu la même chose, que la marche était trop haute, qu’il n’allait pas y arriver, je crois qu’il prend ça comme un défi. » Valbuena junior s’en est toujours nourri pour se hisser sur la pointe des pieds au niveau des grands, pour enjamber les difficultés avec un état d’esprit et une soif de ballon remarquables. Formidable battant, à l’aise dans ce rôle de Calimero qui lui donne des ailes, il a trop souvent dû encaisser les pires humiliations, comme ces bizutages répétés en équipe de France ou à l’OM, où certains s’amusaient à le viser à l’entraînement comme un vulgaire plot de chantier.
Insultes, contre-appel et concurrence. C’était il n’y a pas si longtemps, en décembre 2012. Le latéral angevin Gaël Angoula se souvient d’un Bastia-OM à huis clos où il avait entendu de drôles de choses : « Il y avait eu des insultes, des accrochages verbaux entre Valbuena et ses coéquipiers, mais dans le jeu ils le cherchaient systématiquement. » Pour l’avoir recroisé avec Lyon cette saison, Angoula a constaté que c’était désormais le calme plat, sur tous les plans : pas d’insulte, pas de passe. « Je l’ai trouvé plutôt en forme, mais c’est évident qu’il touche moins de ballons à Lyon, il a moins d’importance qu’à l’OM. » Là-bas, le jeu tournait autour de lui. À Lyon, c’est plutôt lui qui tourne autour du jeu. Angoula l’a constaté de visu : « C’est moi qui étais à son marquage. J’ai en tête deux ou trois situations où il fait appel, contre-appel, je suis dans le vent, mais heureusement pour moi personne ne lui donne. Tolisso et Grenier ne l’ont pas cherché et ont choisi de tenter des passes plus compliquées. » À destination de Lacazette, notamment. Il ne s’agit pas de les opposer artificiellement, ils le sont de fait, en concurrence pour un leadership technique et humain à l’OL et pour un maillot bleu, même s’ils n’évoluent pas au même poste et si aucun des deux n’a été convoqué pour les échéances face aux Pays-Bas et à la Russie, Lacazette pour méforme, Valbuena parce qu’il revient de blessure.
Les salaires de la discorde. C’était il n’y a pas si longtemps, et c’était déjà le début des emmerdements. Le 1er octobre, le Parisien révèle que le taulier de la saison dernière touche moins que l’arrivant. Le salaire de Valbuena (4,2 M€ brut sur l’année, hors primes) est supérieur à celui, réévalué l’été dernier, de Lacazette (4 M€ brut) malgré ses états de service (27 buts en 2014-15). Sans compter la prime annuelle quasiment trois fois plus importante pour Valbuena (1,6 M€) que pour Lacazette (0,6 M€). De quoi frustrer ce dernier, mais pas uniquement. Si cette flambée n’a rien de choquant au vu du statut de Valbuena et des salaires qu’il touchait auparavant, elle est venue troubler l’harmonie trouvée ces deux dernières années par l’OL, forcé par les circonstances de miser sur sa jeunesse. Il a découlé de l’avènement de cette génération Tola-Vologe un équilibre menacé par les arrivées de l’été. Le schéma est habituel, décortiqué par Denis Troch, ancien entraîneur (PSG, Laval, Le Havre...) reconverti dans le coaching mental. « Dès qu’on bouge un élément dans un collectif, il faut remettre en question tout le système. Quand on rajoute quelqu’un, il faut revisiter toutes les interactions du groupe, car cela chamboule les équilibres, les positions des leaders changent, les affinités aussi. La chose la plus importante, c’est qu’il faut un alignement entre la direction, le staff et les joueurs, une cohérence. C’est pour cela qu’il faut réajuster sans cesse. »
« Ses coéquipiers n’ont pas confiance en lui. » C’était il n’y a pas si longtemps, mais Baup se souvient de ses années de coach. « Tout ça, c’est de l’humain, quand on est entraîneur, on ne fait que ça. » Et c’est primordial tant les dégâts sont quasi irréparables, ce qu’explique Troch. « Si tout ça n’a pas été fait au départ, il faut tout casser, ou alors ça demandera un temps fou pour normaliser les rapports, car un tas de choses se sont cristallisées entre-temps. C’est un peu comme dans une famille, à l’arrivée d’un nouvel enfant, il faut forcément des réajustements. » Celle de Valbuena a, du coup, ressemblé à une pièce rapportée plus qu’à une adoption, et cela se vérifie sur le terrain à entendre Mohamed Fofana, le défenseur de Reims. « On voit bien qu’ils ont du mal à le trouver, car il est arrivé dans une équipe qui avait ses automatismes. J’ai l’impression que ses coéquipiers n’ont pas assez confiance en lui, mais ce n’est pas le seul. Aucune recrue n’a flambé et Yanga-Mbiwa a reconnu qu’il avait du mal à s’intégrer. » L’ancien Montpelliérain s’en était ému lors d’une conférence de presse. « C’est clair qu’il y a des tensions partout dans le vestiaire », avait-il reconnu. Victime des mêmes difficultés, Claudio Beauvue est reparti au bout de six mois (au Celta Vigo), ce qui fait dire au Guingampais Nicolas Benezet : « Il suffit de prendre l’exemple de Beauvue, apparemment, ça n’est pas facile de jouer à Lyon quand tu n’es pas du cru. »
Hautain, bavard, vantard ou bonne pâte ? Claudio Beauvue a glissé quelques mots d’explication à son départ. Dans Ouest France, d’abord : « Tout le monde a décrété que Lacazette et moi, nous étions copains parce que j’ai posté une photo de nous deux, mais, sur le terrain, c’est autre chose. » Puis dans une interview à Canal+ : « Avec plus de recul, je m’aperçois que ça pose un problème qu’il (Valbuena) soit là. On n’aime pas voir l’autre briller à sa place. Mais je ne sais pas pourquoi on agit encore comme ça avec lui. » Peut-être parce que lui non plus n’a pas tout fait pour se glisser sans bruit dans un vestiaire qui n’était pas le sien. Pas son genre. Bavard, parfois vantard à en croire d’anciens partenaires – « il est hautain, il y a lui et les autres », dit l’un d’entre eux –, Valbuena doit peut-être aussi certaines difficultés à ce bling-bling qu’il porte comme un étendard. « Tu ne mets pas dans le vestiaire des lunettes de soleil alors qu’il pleut dehors, ajoute cet anonyme, qui ne l’est pas. Mathieu est arrivé en terrain conquis, ça ne pardonne pas dans un groupe où 80 % des gens ont grandi ensemble. Les Lacazette, Tolisso et compagnie ont dû se dire : “pour qui il se prend ?” » Pour un joueur de l’équipe de France. Pour un ancien meilleur passeur de Ligue 1 (2012-13). Pour un cador qu’il est lorsqu’il est en confiance. Élie Baup préfère retenir cela que le reste. « C’est sa manière d’être, il ne faut pas le prendre au premier degré, ni s’arrêter à ça. En vérité, c’est une bonne pâte. Je suis certain que s’ils vont tous boire un coup après, tout s’arrangera. » Mathieu Valbuena, lui, n’a pas l’impression d’être ostracisé, rejeté.
Benzema, l’idole des jeunes. C’était il n’y a pas si longtemps, début février, et Valbuena a forcément parlé de tout cela avec Olivier Auriac, le milieu d’Angers, avec qui il a été formé à Bordeaux. « Je ne pense pas qu’il y ait dans le vestiaire les Lyonnais, d’un côté, et Valbuena, de l’autre. J’en suis même certain », assure Auriac, forcément dans la confidence. Pourtant, il y a bien eu au moins un motif de fâcherie, à propos de la (trop) fameuse sextape. Cette affaire a fatalement envenimé ses rapports avec certains dans le vestiaire, comme l’a reconnu l’ancien coach de l’OL Hubert Fournier dans une interview donnée à Canal. « Tout le monde s’est posé des questions sur cette histoire. En plus, cette histoire est liée à (Karim), qui est de Lyon, sa famille y vit encore, c’est même l’idole de certains joueurs ici. Forcément, ça n’a pas été facile. » Pourquoi ? Parce que Valbuena a été victime d’un chantage ? Parce qu’il n’a pas voulu payer ? Parce qu’il l’a dénoncé ? Ou parce qu’il a dénoncé Benzema qui voulait qu’il paie ?
« L’omerta dans le foot est plus forte qu’en politique. » C’était il n’y a pas si longtemps, mais depuis qu’il a commencé l’année dernière à enquêter sur Jean-Pierre Bernès avant de s’intéresser à cette histoire de sextape, le journaliste du Monde Gérard Davet s’est forgé son idée. « Dans le foot, l’omerta est encore plus forte que dans la politique ou les affaires. En nous parlant, Valbuena voulait sécuriser son statut de victime dans cette affaire, mais il est au contraire devenu un coupable. Parce qu’il a parlé. Il savait qu’il en subirait les conséquences, mais il ne mesurait pas l’onde de choc, ni ce que ce monde du foot sécrète comme omerta, comme protection envers un joueur du Real, envers le partenaire préféré de Cristiano Ronaldo. » Envers l’un des joueurs majeurs de Didier Deschamps qui lui a récemment témoigné son soutien. Le sélectionneur aurait d’ailleurs tenté de se procurer le dossier pour pouvoir se positionner, avant que la cour d’appel de Versailles ne juge « recevable » la requête de la FFF de se constituer partie civile. La famille Valbuena, elle, y a eu accès. Ce qu’elle y a lu l’a effrayée. Habitué aux investigations, Davet en a vu d’autres, mais se montre pessimiste pour Benzema. « La juge a quasiment terminé son enquête, il va y avoir des réquisitoires sanglants contre Benzema. D’ailleurs, elle a seulement levé son contrôle judiciaire, pas sa mise en examen, c’est bien qu’il y a une raison ! Maintenant, il va y avoir l’ordonnance de renvoi, cela devrait être violent et accablant pour Benzema. Mais ça ne sera pas avant l’Euro. » Mathieu Valbuena ne peut donc tabler sur le calendrier judiciaire pour espérer un bannissement de son coéquipier qui augmenterait mécaniquement ses chances de revenir en bleu à temps pour cet Euro auquel il tient tant – « les Bleus, c’est ce qui le fait rêver », dit-on dans son entourage. Il ne pourra compter que sur lui-même. Comme toujours. Et ça, il y a longtemps qu’il le sait.
Longtemps incontournable chez les Bleus et en L1, l’ancien Marseillais ne l’est plus nulle part. En six mois à Lyon, il a perdu gros, y compris peut-être ses chances d’aller à l’Euro. FF a enquêté pour savoir comment il a pu perdre pied. Et s’il peut se relever.
C’était il n’y a pas si longtemps. Sept mois. C’est quoi, sept mois, dans la vie d’un homme ? Pas grand-chose. C’était il n’y a pas si longtemps et Mathieu Valbuena était quelqu’un d’important. Pour la conférence de presse de son arrivée à Lyon, les décideurs s’étaient endimanchés, avec ce qu’il faut de négligé pour supporter la chaleur de ce 11 août 2015. Hubert Fournier avait déboutonné le col de sa chemise blanche, le président Aulas avait dénoué sa cravate et Bernard Lacombe avait assorti la sienne à sa veste bleu nuit. Les déclarations étaient de circonstance, la fierté non feinte de récupérer un cadre de l’équipe de France. Pourtant, il se murmure déjà que tout le monde à la table n’était pas pour ces fiançailles à la hussarde entre un club qui s’est hâté de recruter pour aborder une Ligue des champions, où ses jeunes ont si peu de vécu, et un trentenaire rapatrié d’urgence parce que son club du Dynamo Moscou vient justement d’être radié de cette C1. Qu’importe si Valbuena porte en lui l’image d’un autre Olympique où il a passé huit ans, ce qui a « d’entrée posé certaines questions » à en croire Élie Baup, qui l’a entraîné à l’OM où « Mathieu est devenu un pur Marseillais ». Qu’importe si le cœur du réacteur du jeu lyonnais est nourri de la complicité de mômes devenus des hommes et des pros ensemble à Tola-Vologe, avec ce que cela comporte de réticences envers l’extérieur. Et qu’importe si ce recrutement semble être le choix du président Aulas plus que celui de son coach et de son conseiller Bernard Lacombe. Devant les micros, ce dernier garde d’ailleurs son sens de la formule. « Quand on rencontrait l’OM et que Mathieu ne jouait pas, on se disait : “ Tant mieux ’’ ! »
Statistiquement, l’OL est meilleur sans lui. C’était il n’y a pas si longtemps et cette phrase-là résonne cruellement tant, sept mois après, il se dit exactement l’inverse. Désormais, c’est quand Mathieu Valbuena joue que les adversaires de l’OL disent « tant mieux ». Il n’y a rien de sarcastique dans ce constat, ce sont les chiffres qui le sont : Lyon gagne plus et mieux en L1 sans Valbuena (50 % de victoires et 1,9 but par match) qu’avec lui (40 % de victoires et 1,43 but par match). Ç’a été pire en C1, où l’OL n’a gagné qu’une rencontre, sans lui, et a perdu toutes les autres, avec lui. Coïncidence ? Consultant sur Canal+, Éric Carrière a lancé à l’antenne : « Avec Valbuena, le jeu manque de fluidité, il y en a plus quand il ne joue pas. Comme par hasard, Lyon a retrouvé son jeu de l’année dernière quand il a été absent. » Le même Éric Carrière disait pourtant à l’arrivée du même Valbuena : « C’est une très bonne recrue, il va bien s’entendre avec Lacazette et Fekir. » C’était il n’y a pas si longtemps et il s’est passé tant de choses depuis dans la vie de l’OL comme dans celle de Valbuena. Des coups francs et certains qui l’étaient moins, des coups de stress et des coups de moins bien, sur le terrain comme plus loin, jusque dans les prétoires de la justice. Contre-performances, malentendus, affaire salace et trahison, le lutin a connu tant de désillusions depuis sa venue à Lyon qu’il en a perdu son allant. Si ses proches gardent le silence, l’un d’eux consent à reconnaître sous couvert d’anonymat : « Il a pris un grand coup dans la gueule. »
« Ça lui a tapé sur le carafon. » C’était il n’y a pas si longtemps, et Gérard Davet, l’un des deux journalistes du Monde à l’avoir interrogé en novembre à propos de l’affaire de la sextape, se souvient d’avoir éprouvé la même impression. « On a rencontré un homme blessé, touché, qui se sentait trahi. Ça lui a tapé sur le carafon. Déjà qu’il n’était pas au top à l’époque... » Pour une fois, sans doute la première, Valbuena le vaillant est atteint. Éteint. Il en a pourtant vu d’autres, a encaissé tant de sarcasmes et de brimades, de désillusions et de défiance, dont il s’est toujours relevé, comme l’a dit plusieurs fois Carlos, son père : « Mathieu a toujours entendu la même chose, que la marche était trop haute, qu’il n’allait pas y arriver, je crois qu’il prend ça comme un défi. » Valbuena junior s’en est toujours nourri pour se hisser sur la pointe des pieds au niveau des grands, pour enjamber les difficultés avec un état d’esprit et une soif de ballon remarquables. Formidable battant, à l’aise dans ce rôle de Calimero qui lui donne des ailes, il a trop souvent dû encaisser les pires humiliations, comme ces bizutages répétés en équipe de France ou à l’OM, où certains s’amusaient à le viser à l’entraînement comme un vulgaire plot de chantier.
Insultes, contre-appel et concurrence. C’était il n’y a pas si longtemps, en décembre 2012. Le latéral angevin Gaël Angoula se souvient d’un Bastia-OM à huis clos où il avait entendu de drôles de choses : « Il y avait eu des insultes, des accrochages verbaux entre Valbuena et ses coéquipiers, mais dans le jeu ils le cherchaient systématiquement. » Pour l’avoir recroisé avec Lyon cette saison, Angoula a constaté que c’était désormais le calme plat, sur tous les plans : pas d’insulte, pas de passe. « Je l’ai trouvé plutôt en forme, mais c’est évident qu’il touche moins de ballons à Lyon, il a moins d’importance qu’à l’OM. » Là-bas, le jeu tournait autour de lui. À Lyon, c’est plutôt lui qui tourne autour du jeu. Angoula l’a constaté de visu : « C’est moi qui étais à son marquage. J’ai en tête deux ou trois situations où il fait appel, contre-appel, je suis dans le vent, mais heureusement pour moi personne ne lui donne. Tolisso et Grenier ne l’ont pas cherché et ont choisi de tenter des passes plus compliquées. » À destination de Lacazette, notamment. Il ne s’agit pas de les opposer artificiellement, ils le sont de fait, en concurrence pour un leadership technique et humain à l’OL et pour un maillot bleu, même s’ils n’évoluent pas au même poste et si aucun des deux n’a été convoqué pour les échéances face aux Pays-Bas et à la Russie, Lacazette pour méforme, Valbuena parce qu’il revient de blessure.
Les salaires de la discorde. C’était il n’y a pas si longtemps, et c’était déjà le début des emmerdements. Le 1er octobre, le Parisien révèle que le taulier de la saison dernière touche moins que l’arrivant. Le salaire de Valbuena (4,2 M€ brut sur l’année, hors primes) est supérieur à celui, réévalué l’été dernier, de Lacazette (4 M€ brut) malgré ses états de service (27 buts en 2014-15). Sans compter la prime annuelle quasiment trois fois plus importante pour Valbuena (1,6 M€) que pour Lacazette (0,6 M€). De quoi frustrer ce dernier, mais pas uniquement. Si cette flambée n’a rien de choquant au vu du statut de Valbuena et des salaires qu’il touchait auparavant, elle est venue troubler l’harmonie trouvée ces deux dernières années par l’OL, forcé par les circonstances de miser sur sa jeunesse. Il a découlé de l’avènement de cette génération Tola-Vologe un équilibre menacé par les arrivées de l’été. Le schéma est habituel, décortiqué par Denis Troch, ancien entraîneur (PSG, Laval, Le Havre...) reconverti dans le coaching mental. « Dès qu’on bouge un élément dans un collectif, il faut remettre en question tout le système. Quand on rajoute quelqu’un, il faut revisiter toutes les interactions du groupe, car cela chamboule les équilibres, les positions des leaders changent, les affinités aussi. La chose la plus importante, c’est qu’il faut un alignement entre la direction, le staff et les joueurs, une cohérence. C’est pour cela qu’il faut réajuster sans cesse. »
« Ses coéquipiers n’ont pas confiance en lui. » C’était il n’y a pas si longtemps, mais Baup se souvient de ses années de coach. « Tout ça, c’est de l’humain, quand on est entraîneur, on ne fait que ça. » Et c’est primordial tant les dégâts sont quasi irréparables, ce qu’explique Troch. « Si tout ça n’a pas été fait au départ, il faut tout casser, ou alors ça demandera un temps fou pour normaliser les rapports, car un tas de choses se sont cristallisées entre-temps. C’est un peu comme dans une famille, à l’arrivée d’un nouvel enfant, il faut forcément des réajustements. » Celle de Valbuena a, du coup, ressemblé à une pièce rapportée plus qu’à une adoption, et cela se vérifie sur le terrain à entendre Mohamed Fofana, le défenseur de Reims. « On voit bien qu’ils ont du mal à le trouver, car il est arrivé dans une équipe qui avait ses automatismes. J’ai l’impression que ses coéquipiers n’ont pas assez confiance en lui, mais ce n’est pas le seul. Aucune recrue n’a flambé et Yanga-Mbiwa a reconnu qu’il avait du mal à s’intégrer. » L’ancien Montpelliérain s’en était ému lors d’une conférence de presse. « C’est clair qu’il y a des tensions partout dans le vestiaire », avait-il reconnu. Victime des mêmes difficultés, Claudio Beauvue est reparti au bout de six mois (au Celta Vigo), ce qui fait dire au Guingampais Nicolas Benezet : « Il suffit de prendre l’exemple de Beauvue, apparemment, ça n’est pas facile de jouer à Lyon quand tu n’es pas du cru. »
Hautain, bavard, vantard ou bonne pâte ? Claudio Beauvue a glissé quelques mots d’explication à son départ. Dans Ouest France, d’abord : « Tout le monde a décrété que Lacazette et moi, nous étions copains parce que j’ai posté une photo de nous deux, mais, sur le terrain, c’est autre chose. » Puis dans une interview à Canal+ : « Avec plus de recul, je m’aperçois que ça pose un problème qu’il (Valbuena) soit là. On n’aime pas voir l’autre briller à sa place. Mais je ne sais pas pourquoi on agit encore comme ça avec lui. » Peut-être parce que lui non plus n’a pas tout fait pour se glisser sans bruit dans un vestiaire qui n’était pas le sien. Pas son genre. Bavard, parfois vantard à en croire d’anciens partenaires – « il est hautain, il y a lui et les autres », dit l’un d’entre eux –, Valbuena doit peut-être aussi certaines difficultés à ce bling-bling qu’il porte comme un étendard. « Tu ne mets pas dans le vestiaire des lunettes de soleil alors qu’il pleut dehors, ajoute cet anonyme, qui ne l’est pas. Mathieu est arrivé en terrain conquis, ça ne pardonne pas dans un groupe où 80 % des gens ont grandi ensemble. Les Lacazette, Tolisso et compagnie ont dû se dire : “pour qui il se prend ?” » Pour un joueur de l’équipe de France. Pour un ancien meilleur passeur de Ligue 1 (2012-13). Pour un cador qu’il est lorsqu’il est en confiance. Élie Baup préfère retenir cela que le reste. « C’est sa manière d’être, il ne faut pas le prendre au premier degré, ni s’arrêter à ça. En vérité, c’est une bonne pâte. Je suis certain que s’ils vont tous boire un coup après, tout s’arrangera. » Mathieu Valbuena, lui, n’a pas l’impression d’être ostracisé, rejeté.
Benzema, l’idole des jeunes. C’était il n’y a pas si longtemps, début février, et Valbuena a forcément parlé de tout cela avec Olivier Auriac, le milieu d’Angers, avec qui il a été formé à Bordeaux. « Je ne pense pas qu’il y ait dans le vestiaire les Lyonnais, d’un côté, et Valbuena, de l’autre. J’en suis même certain », assure Auriac, forcément dans la confidence. Pourtant, il y a bien eu au moins un motif de fâcherie, à propos de la (trop) fameuse sextape. Cette affaire a fatalement envenimé ses rapports avec certains dans le vestiaire, comme l’a reconnu l’ancien coach de l’OL Hubert Fournier dans une interview donnée à Canal. « Tout le monde s’est posé des questions sur cette histoire. En plus, cette histoire est liée à (Karim), qui est de Lyon, sa famille y vit encore, c’est même l’idole de certains joueurs ici. Forcément, ça n’a pas été facile. » Pourquoi ? Parce que Valbuena a été victime d’un chantage ? Parce qu’il n’a pas voulu payer ? Parce qu’il l’a dénoncé ? Ou parce qu’il a dénoncé Benzema qui voulait qu’il paie ?
« L’omerta dans le foot est plus forte qu’en politique. » C’était il n’y a pas si longtemps, mais depuis qu’il a commencé l’année dernière à enquêter sur Jean-Pierre Bernès avant de s’intéresser à cette histoire de sextape, le journaliste du Monde Gérard Davet s’est forgé son idée. « Dans le foot, l’omerta est encore plus forte que dans la politique ou les affaires. En nous parlant, Valbuena voulait sécuriser son statut de victime dans cette affaire, mais il est au contraire devenu un coupable. Parce qu’il a parlé. Il savait qu’il en subirait les conséquences, mais il ne mesurait pas l’onde de choc, ni ce que ce monde du foot sécrète comme omerta, comme protection envers un joueur du Real, envers le partenaire préféré de Cristiano Ronaldo. » Envers l’un des joueurs majeurs de Didier Deschamps qui lui a récemment témoigné son soutien. Le sélectionneur aurait d’ailleurs tenté de se procurer le dossier pour pouvoir se positionner, avant que la cour d’appel de Versailles ne juge « recevable » la requête de la FFF de se constituer partie civile. La famille Valbuena, elle, y a eu accès. Ce qu’elle y a lu l’a effrayée. Habitué aux investigations, Davet en a vu d’autres, mais se montre pessimiste pour Benzema. « La juge a quasiment terminé son enquête, il va y avoir des réquisitoires sanglants contre Benzema. D’ailleurs, elle a seulement levé son contrôle judiciaire, pas sa mise en examen, c’est bien qu’il y a une raison ! Maintenant, il va y avoir l’ordonnance de renvoi, cela devrait être violent et accablant pour Benzema. Mais ça ne sera pas avant l’Euro. » Mathieu Valbuena ne peut donc tabler sur le calendrier judiciaire pour espérer un bannissement de son coéquipier qui augmenterait mécaniquement ses chances de revenir en bleu à temps pour cet Euro auquel il tient tant – « les Bleus, c’est ce qui le fait rêver », dit-on dans son entourage. Il ne pourra compter que sur lui-même. Comme toujours. Et ça, il y a longtemps qu’il le sait.