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Griezmann, l’autre dieu du stade
Maestro|Crucial à l’avant, infatigable à la récupération, aucun joueur du Mondial n’est plus décisif que lui des deux côtés du terrain.
Cyril Simon Envoyé Spécial À Doha
Antoine Griezmann est un homme pressé. À 31 ans, le Mâconnais a une deuxième Coupe du monde à gagner. Mais pour les yeux rieurs du sélectionneur marocain, le numéro 7 a quand même pris quelques secondes de son temps mercredi soir au centre de la pelouse du stade Al-Bayt. « Alors toi, tu ne vas pas t’arrêter ou quoi ? » lui lance Walid Regragui, beau joueur malgré l’élimination. On ne sait pas ce que lui a répondu l’homme du match. Dommage car c’est la question à un million depuis le début de ce tournoi !
Comment la pile Duracell de l’équipe de France fait-elle pour recharger ses batteries ? On veut bien attendre encore 90 minutes, ou 120, pour avoir la réponse. On veut bien attendre qu’il oxygène une nouvelle fois le jeu tricolore face à l’Argentine, et ventile d’un énième dégagement catastrophe la gorge serrée des fans des Bleus. D’ici là, les autres parleront très bien pour lui.
Commençons par l’homme à qui il aime faire la cour depuis mars 2014 et la première de ses 116 sélections. « Antoine ne calcule vraiment pas les efforts. Sur le plan défensif, il a encore été remarquable aujourd’hui, l’a félicité Didier Deschamps après la demi-finale. Il a un gros abattage, il bouche les trous et, à chaque fois qu’il touche le ballon, il essaye d’éclairer le jeu et le fait plutôt bien. »
Ousmane Dembélé en a remis une couche ce vendredi. De 2019 à 2021, l’ancien Rennais l’avait vu perdre sa joie de vivre et sa grinta du côté du FC Barcelone. Aujourd’hui, les deux sont à nouveau réunis en bleu. Avec comme missions communes d’animer le couloir droit et de le protéger en soutien de Jules Koundé. « Ce poste lui va très bien. Il m’a souvent dit à l’époque que s’il jouait numéro 6 ou 8, il serait très bon », a confié l’ailier droit. DD n’est pas le premier entraîneur à recentrer un talent offensif vers des tâches plus variées, l’âge avançant.
Une science de la passe qui confine à la magie
Cette métamorphose date des premiers jours du rassemblement avant le départ pour Doha. L’absence de Paul Pogba et N’Golo Kanté, les deux garants de l’équilibre en Russie, oblige à repenser tout l’entrejeu. Sur le paperboard, le binôme va laisser place à un triangle capable de « se déformer », selon l’expression de l’adjoint, Guy Stephan. Aurélien Tchouaméni se voit installer en pointe basse avec, devant lui, Adrien Rabiot et Griezmann dans des rôles hybrides de pistons-relayeurs. Ce qui rend le cas Grizou si spécial, c’est que sa polyvalence n’a pas nivelé pas ses qualités par le bas. Il reste lucide et étincelant partout. Raison pour laquelle Pogba le surnomme désormais « Griezmannkanté ».
Kylian Mbappé et Leo Messi braquent toute l’attention. Souvent à raison. Ils sont respectivement impliqués dans 45 et 43 occasions ayant abouti à un tir. Derrière, le joueur le plus actif offensivement s’appelle... Griezmann (30). Comment expliquer cela, alors que, face au Maroc, il n’a joué que deux ballons dans la surface adverse ? Par sa science de la passe, qui confine parfois à la magie. En une touche, deux ou parfois trois — s’il n’a pas le choix —, il accélère le jeu et peut l’envoyer dans une autre dimension, de préférence au service des fusées Mbappé et Dembélé.
À Doha, il ne terminera pas parmi les meilleurs buteurs comme en 2018. En Russie, il avait marqué quatre fois, dont deux en finale. En revanche, le classement des passeurs est à sa portée. Il partage pour l’instant la première place (3 passes décisives), aux côtés du Portugais Bruno Fernandes, de l’Anglais Harry Kane et de la Pulga de l’Albiceleste, qu’il affronte ce dimanche. Le Français détient aussi le record du nombre de centres réalisés (35).
Cette activité s’avère colossale au regard de son volume sans le ballon. Là aussi, Grizou culmine à un niveau d’exception. Face aux Lions de l’Atlas, aucun Français n’a réalisé plus de courses de pressing que lui (69). Ce n’est pas toujours bon signe pour les hommes de devant. Cela veut dire qu’ils patientent et qu’il manque un trait d’union pour jouer la contre-attaque.
11,47 km avalés par match, trois de plus que Mbappé
Mais les responsabilités défensives du relayeur sont immenses. Eriksen (Danemark) et Bellingham (Angleterre), parmi les meilleurs manieurs de ballon au monde, en savent quelque chose. Griezmann a eu comme consigne de bloquer leurs relances et de les empêcher de transpercer les lignes.
Au total, le Colchonero a déjà avalé près de 60 km, soit une moyenne de 11,47 km toutes les 90 minutes. En comparaison, les deux étoiles du PSG citées plus haut en parcourent trois de moins à chaque match. Si Griezmann était un dieu du stade, il porterait un dossard de décathlonien. Pas l’athlète le plus exposé mais assurément l’un des plus fascinants et iconiques.
Le Parisien