Stupeur chez les journalistes: à défaut de récupérer la gestion des abonnements en virages, de transférer André-Pierre Gignac ou de greffer des cheveux à José Anigo, l’OM s’attaque à un autre chantier titanesque en reprenant en main sa relation avec les médias. Gros plan sur une petite révolution.
La formule avait agacé plus d’un supporter à l’époque : alors président de l’OM, Christophe Bouchet, dont l’égo protubérant n’a pas vraiment dégonflé depuis, avait marqué les esprits en assimilant le club à « une entreprise du show-business ». Issus du monde de l’audiovisuel, le Président Vincent Labrune, son directeur général Philippe Perez et son directeur de la Communication Luc Laboz semblent partager cette vision quelque peu hasardeuse : le règlement nouvellement en vigueur régissant les relations entre le club et les médias assimile grosso-modo l’OM à un studio de cinéma américain, et en adopte tous les codes en matière de relation presse. Délire liberticide ou étape normale d’une professionnalisation nécessaire ? Probablement un peu des deux.
Indignation à géométrie variable
Le tollé n’en finit pas d’agiter le landerneau médiatique olympien : la main sur le cœur, les rédactions brandissent la sacro-sainte liberté de la presse. Que se passe-t-il donc ? Est-ce le résultat de pressions et censures subies au moment d’évoquer des sujets sensibles tels que les dérives de certaines associations de supporters, le régime alimentaire d’André-Pierre Gignac ou encore les évidentes dissensions capillaires entre Vincent Labrune et José Anigo ? Rien de tout cela. A vrai dire, sur les terrains minés, et comme c’est le cas partout ailleurs, la corporation n’a besoin d’aucun règlement pour pratiquer l’art pragmatique de l’autocensure plus ou moins affirmée. Comme le souligne Hélène Foxonet sur son blog, l’inquiétude des journalistes porte d’abord sur des questions d’argent (1).
Dans un microcosme où ménager la chèvre et le chou est déjà une question de survie, il est donc assez difficile de penser, comme le sous-entend l’Union des Journalistes Sportifs Français, qu’il est ici question d’une noble bataille opposant de nobles reporters indépendants et subversifs à une Direction qui use du off à la perfection.
L’actualité privatisée
Pour comprendre le nœud du problème, il faut jeter un œil sur le fameux règlement envoyé aux médias externes par le club : en substance, il est question d’une dépendance institutionnalisée, caractérisée par la délivrance d’accréditations selon le bon vouloir des dirigeants. Sans ce précieux sésame, l’accès aux entrainements, conférences de presse et même aux demandes d’interviews en tête à tête, encadrées et contrôlées par le club, est impossible. En d’autres termes, toute production de contenu éditorial concernant l’OM sera strictement conditionnée à l’aval préalable de la direction. Toutefois, les inquiétudes se cristallisent autour de la volonté du club de monnayer et d’encadrer ses droits d’images afin de bénéficier pleinement des revenus générés par sa couverture médiatique.
De l’impossibilité de tweeter pendant les conférences de presse à l’interdiction d’utiliser le sigle « OM » sur Internet, la politique de verrouillage mise en œuvre semble être un mauvais calcul stratégique sur le long terme : puisque le club est valorisé par sa notoriété, vouloir « confisquer » cette notoriété revient à l’affaiblir.
Comme tous les grands clubs
Si ces limitations peuvent paraître drastiques, il est bon de rappeler qu’elles ne font que s’inscrire dans la norme appliquée actuellement par une grande partie de l’élite du football européen. Sans même évoquer les cas du Real de Madrid, de Manchester United ou encore du Bayern de Munich, on notera que les relations presse du PSG sont étroitement régulées (2) tandis que l’OL de Jean-Michel Aulas garde depuis longtemps un œil intransigeant sur l’exploitation des images du club. Dans un contexte de concurrence sportive féroce, toute source de revenus doit être optimisées, et le buzz généré par la marque OM en est indéniablement une (3). Il y aurait donc quelque chose d’incohérent à militer pour que Marseille joue dans la Cour des Grands tout en s’en indignant lorsque c’est effectivement le cas.
Entre des rivaux aussi irrationnels économiquement que richissimes, des écarts de revenus qui continuent à s’accroitre vis-à-vis des championnats majeurs et une fiscalité qui va probablement être amenée à s’alourdir, l’OM ne peut se permettre de négliger aucun relai de croissance. Ces mesures s’inscrivent dans cette optique.
L’OM n’est pas une entreprise comme les autres
Après tout, en quoi le supporter de base serait impacté par ce type de réorganisation ? Assiste-t-on à une tempête dans un verre d’eau ? Pas vraiment. L’OM est historiquement particulièrement ouvert, proposant notamment plusieurs entrainements accessibles au public. Cette spécificité est loin d’être anodine (4). Elle illustre le caractère atypique, passionné et iconoclaste inscrit dans l’ADN du club, qui est probablement le plus important actif dont il dispose. Un spectacle, un « business artistique » obéit à des règles rationnelles, basées sur la réponse à un besoin. Le football en général et l’OM en particulier ne saurait obéir à ce type de principes, dans la mesure où l’amour porté à un club, fondé sur l’affect, n’est pas conditionné à une satisfaction systématique: on ne peut pas consommer l’OM comme n’importe quel produit.
De la nomination de la compagne de Christophe Bouchet à la tête d’OMTV au publié-communiqué ridicule publié par Vincent Labrune dans l’Equipe, en passant par la censure appliquée par Pape Diouf aux journalistes peu conciliants, les dirigeants de l’OM ont la fâcheuse habitude de se confondre avec l’institution qu’ils représentent. Cela ne doit pas empêcher le club de se professionnaliser. Ni les médias de faire leur travail, règlement ou pas.
1. « L’OM tente de faire payer ce qui relève du droit à l’information », estime la journaliste de l’Equipe http://aubalconduvelodrome.blogs.lequip … ere-ligne/
2. Depuis l’arrivée de QSI à la tête du club, son service de presse gère la totalité des demandes d’interviews et n’hésite pas à réserver des exclusivités à sa filiale BeInSport, comme lors de l’arrivée de David Beckham.
3. D’après un sondage réalisé en 2013 par l’IFOP, l’OM reste le club français le plus populaire. Par ailleurs, malgré les stars parisiennes, l’OM est le club de L1 ayant touché le plus de droits TV cette année avec 48 M€.
4. Si la situation s’est nettement « normalisée » ces dernières années, l’accès des journalistes aux entrainements de l’OM a longtemps été quasi systématique, ce qui est une exception aussi bien en France qu’en Europe.