Médecine fiction
« Coach, y’a un problème avec ma cheville. Ça sent mauvais… »
Au moment où celle-ci se retrouve au centre d’une controverse comme on les adore à Marseille, mais surtout dans les médias parisiens quand ça peut permettre d’embarrasser l’OM, il est intéressant de faire le point sur le sujet. Du moins ce qu’on peut en apprendre, en comprendre et en déduire.
Notre spécialiste maison – expert à la radio, à la télé mais surtout au bloc opératoire* – a bien voulu prendre sur son précieux temps pour nous donner son « pount de viste », comme dirait Villas-Boas, sur les problèmes médicaux de Thauvin afin que vous compreniez un peu mieux pourquoi la prise en charge peut paraître bancale. En fait la situation est un peu plus compliquée que cela.
Nous n’avons bien sûr pas accès à son dossier, mais il est forcément beaucoup plus facile pour un homme de l’art que pour une tête de lard de lire entre les lignes, décrypter ce qui est publié pour reconstituer l’histoire, et nous ne nous mettrons pas à la place de quiconque, ni ne disons que tout cela est la réalité du cas observé. Juste quelques précisions ou informations bienvenues.
Coupons court ! (la polémique, pas la jambe ! Zut, trop tard)
Tout d’abord, il faut bien rappeler que le joueur n’a aucun intérêt à retarder son retour, surtout avec les nombreux titulaires forfaits ou en méforme à son poste en équipe de France. De plus, dans l’optique d’un hypothétique transfert vers un club prestigieux, il a tout à gagner à démontrer sur le terrain qu’il revient au niveau international. Donc non, il n’a certainement pas repoussé son retour juste pour emmerder Eyraud et anticiper son congé parental.
L’année dernière, Thauvin a joué régulièrement avec des douleurs de cheville. Il souffrirait d’une chondropathie sur une des surfaces de cette articulation. Pour les profanes (vous, pas moi, moi je suis omniscient) ça veut dire que son cartilage – la surface de glissement – est abîmé. C’est le stade AVANT l’arthrose. Ça peut être une surface relativement petite, peut-être 1 cm², mais cela entraîne des douleurs ou des œdèmes (gonflements). Il jouait parfois sous anti-inflammatoires, parfois sous infiltration, mais ça ne l’a pas empêché de faire une saison plus que correcte.
Revenons-en à notre dossier (médical)
Le cartilage, on ne sait pas le fabriquer, on ne sait pas le régénérer. Les opérations pour traiter ces problèmes consistent soit à aviver (racler pour mettre à vif) la surface endommagée pour qu’un tissu d’interposition repousse (mais qui n’a pas les mêmes propriétés mécaniques que le cartilage), soit combler la surface avec une matrice de synthèse (idem). Enfin, pour les surfaces plus importantes, on peut prélever une carotte de cartilage et d’os sous-jacent ailleurs dans l’articulation (à un endroit beaucoup moins sollicité) et le greffer sur l’endroit lésé. Vous suivez ? Félicitations ! Courez vous inscrire en médecine.
Notre reporter a pu s’infiltrer incognito chez le chirurgien de Flotov.
Il s’en remet… doucement.
Ces interventions ont un taux de succès assez limité de (de 60 à 80 % maximum), pas mal de contraintes, et répondent surtout à une articulation douloureuse dans la vie de tous les jours, pas aux sollicitations d’un sportif de haut niveau. C’est donc très différent, par exemple, d’une intervention sur les ligaments croisés ou sur les ligaments de la cheville, où l’on sait remplacer la structure abîmée par quelque chose d’aussi efficace, avec des délais de récupération connus, et un taux de reprise du sport bien plus élevé.
En juin, Thauvin a certes parfois mal à la cheville, mais la balance « bénéfice/risque » du traitement chirurgical n’est pas très favorable et entraînerait une longue indisponibilité. Vu qu’il arrive à jouer régulièrement à haut niveau avec un traitement médical d’appoint, il n’apparaît pas saugrenu de continuer comme ça.
Arrive le fameux match où il est touché contre les bouchers écossais. Il se fait une entorse de la cheville. Celle-ci, malgré le traumatisme impressionnant, n’est finalement pas trop grave. Le ligament a été étiré, mais n’est pas rompu. On traite donc médicalement l’entorse, et c’est plutôt rassurant. Seulement, il est très fréquent que l’arthrose ou les chondropathies, parfois même asymptomatiques jusque là, deviennent très douloureuse après un gros traumatisme. En gros, le choc, même s’il n’aggrave pas les lésions, entraîne une réaction inflammatoire dans l’articulation qui « réveille » le problème de cartilage. C’est un peu comme jeter de l’huile sur le feu. Mais ce n’est pas systématique.
À bloc ou au bloc ?
Thauvin a donc soigné médicalement son entorse (là encore, parfaitement logique). Mais une fois celle-ci cicatrisée, malheureusement, son problème de cartilage a empiré. Il n’a pas pu reprendre la compétition (enfin si… 10 minutes), les douleurs et gonflements étaient plus importants et n’étaient plus contrôlés par les infiltrations et les médicaments. Il n’a alors plus d’autre choix que de tenter la chirurgie, non pas pour son entorse, mais bien pour le problème de cartilage ancien qui s’est aggravé.
Ensuite, il y a toujours des intérêts qui s’opposent en médecine du sport : entre le club et le chirurgien traitant, le premier voulant précipiter les choses parfois sans l’accord du second. C’est là où la communication du club, mais aussi de l’entourage de Thauvin, patine quelque peu.
Nous ignorons quelle technique a été utilisée, mais peu importe, les suites sont assez semblables. Et contrairement à une ligamentoplastie, le délai de cicatrisation reste aléatoire. Un ligament qu’on reconstruit, on sait exactement quand il se « ligamentise » et donc précisément quand on peut le solliciter à pleine charge. Seule la récupération musculaire autour peut faire varier un peu la reprise, mais les footballeurs sont très bien entourés à ce niveau.
Malgré tout, six mois pour un ligament croisé, tous les chirurgiens vous diront que c’est trop court. Et on voit bien souvent les joueurs avoir un gros creux et ne redevenir performants qu’un an après la chirurgie.
Ici, pour l’intervention sur le cartilage, la cicatrisation est variable et peu prévisible. On ne peut pas l’évaluer par un moyen d’imagerie (scanner, IRM), et parfois, ça ne fonctionne pas. On est donc obligé d’être prudent, à l’écoute des sensations du patient, d’où un délai qui peut varier à chaque étape de la rééducation.
« Thauvin a repris la course sur piste. Tout se passe au mieux. » @Bernès
Il n’y a donc pas vraiment eu d’erreur de prise en charge nette, vu de l’extérieur. Il est normal d’avoir parfois eu l’air de tergiverser, car il n’y avait pas de solution évidente. Contrairement à un ligament croisé, où le traitement médical est illusoire pour jouer au foot à haut niveau, et où la chirurgie, bien codifiée, donne de bons résultats, il s’agissait d’une intervention plus aléatoire sur laquelle il n’y a pas de vrai consensus médical. Thauvin et son entourage ont donc pu avoir plusieurs avis divergents, ce qui n’a pas dû les aider à prendre rapidement une décision.
À la mode (opératoire) de chez nous
Ajoutons pour finir que s’il n’est pas certain qu’il retrouve une cheville parfaitement indolore, il a quand même de bonnes chances d’être grandement amélioré. Il faudra ensuite encore du temps pour reprendre le rythme de la compétition, mais il est déjà à son poids de forme, preuve qu’on ne peut lui faire le même procès qu’à ses 2 capitaines l’an dernier. Après, comme déjà écrit, un Thauvin à 60 % sera toujours un meilleur ailier droit que la plupart des alternatives testées jusqu’ici.
Concernant enfin l’histoire d’arthrose du talon, ou de fracture, il s’agit certainement de déformations des propos des uns et des autres, lors de la transmission des informations de bouche de profane à oreille de journaliste pleine de cérumen. Voire d’une tentative d’intox de la part d’AVB, fatigué de s’entendre poser la question du retour de Florian chaque fois qu’il croisait un micro de presse. En effet, le talon n’est pas une articulation, et ne peut donc être atteint d’arthrose. Une fracture n’a par ailleurs jamais été évoquée, et si elle a existé, le traumatisme date de son match fin juillet et donc est complètement consolidé depuis et hors de propos.
* Notre expert désirant rester anonyme, nous ne vous dirons pas qu’il s’agit du Pr Paul Duschmol dont le cabinet est sis au 17 rue Paradis, 2e étage gauche, ni que sa Porsche est immatriculée JHE-593-AVB.