Roger Magnusson, le magicien du dribble

À la fin des années 60 et au début des années 70, tous les minots de Marseille qui aimaient le foot, et qui, comme tous leurs semblables dans le monde entier, jouaient des matchs interminables dans les rues de leur quartier ou dans la cour de leur école, ponctuaient chaque dribble réussi d’un bruyant « Olé Manu ! ». Le Manu en question n’était autre que l’abréviation marseillaise de Magnusson.

En effet, ce timide et grand Suédois avait conquis en quelques semaines tout le peuple marseillais. Les grands et les petits, les vieux et les jeunes étaient tous tombés sous le charme de ses dribbles éblouissants, et très vite, le Stade Vélodrome a résonné de « olés » aussi enthousiastes que dans les grandes arènes andalouses, à chaque fois que ce magicien mystifiait un adversaire.

Roger Magnusson est arrivé à Marseille à l’été 1968. Il n’avait alors que 23 ans, et Marcel Leclerc qui avait repris le club 3 ans plus tôt, était allé le chercher à la Juventus de Turin. Le club italien qui avait recruté le Suédois un an auparavant, souhaitant bien à regrets s’en séparer. En effet, le règlement du championnat italien imposait désormais qu’aucun joueur étranger, ne pouvait être aligné dans le « Calcio ». Magnusson ne pouvait dès lors disputer que les rencontres de coupe d’Europe, ce qui n’était satisfaisant ni pour le joueur, ni pour le club. Et bien-sûr, le président de l’OM toujours à l’affut des bons coups, avait flairé celui-là à des kilomètres !

Et bien lui en a pris ! Songez que l’OM qui était remonté en D1 en 1966, soit 2 ans avant l’arrivée de Magnusson, n’avait plus remporté le moindre trophée depuis le titre de 1948, soit plus de 20 ans de disette. En seulement 4 ans, entre 1968 et 1972, le club allait gagner 2 titres de champion et 2 coupes de France. Inutile de préciser que le Suédois fut l’un des grands artisans de ces titres.

J’ai eu la chance de le voir jouer et je n’ai jamais rien vu de pareil. L’écrivain et journaliste Alain Pécheral, dans son immense livre « La grande histoire de l’OM » écrit de lui : « Magnusson fut l’un des plus fabuleux dribbleurs de l’histoire du football, dont la renommée eût sans doute égalé celle d’un Stanley Matthews ou d’un Garrincha s’il avait appartenu  à une sélection nationale plus prestigieuse. » Bel hommage ! Et c’est vrai que sur son aile droite, il a fait la misère à tous (ou presque) les arrières gauches de France et de Navarre.

Il avait pour habitude de fixer son défenseur en baladant à toute vitesse le ballon de son pied droit à son pied gauche, toujours en mouvement, et d’un seul coup, il le débordait irrémédiablement. Il n’était pas rare qu’il efface ainsi 3 ou 4 joueurs dans la foulée.

Contrairement à la majorité des grands dribbleurs, ce magicien n’était pas égoïste et tous ses dribbles étaient invariablement suivis de centres au cordeau. Ceux-ci ont fait le bonheur de ses partenaires d’alors, Joseph, Couecou, Bonnel, Loubet et bien sûr, l’incontournable Josip Skoblar, à qui il a délivré d’innombrables passes décisives (qui n’étaient pas décomptées à l’époque).

D’ailleurs, si le croate fut désigné « Soulier d’or Européen » en 1971 avec 44 buts (record toujours à battre en France), il le doit à son immense talent bien sûr, mais aussi en grande partie aux offrandes du génial scandinave.

Le dribble était donc la grande spécialité du grand Roger et, s’il disposait d’une très bonne frappe de balle, son jeu de tête était quasi inexistant. Son autre défaut était directement lié à son caractère. Ce garçon très gentil et très doux, détestait prendre des coups. Pourtant il en prit beaucoup et comme il le disait lui-même, « Moi je prends des coups, Skoblar il les rend et Bonnel il les donne ! ».

Et c’est vrai que face à certains défenseurs que l’on qualifiera « d’intransigeants », il perdait beaucoup de ses moyens. Le Nîmois André Kabyle par exemple, surtout dans le vieux Stade Jean Bouin cher aux vieux supporteurs nîmois, lui réservait toujours un traitement particulier. Ces jours là, le doux Roger se calait alors sur son aile droite, le long de la ligne, et attendait patiemment que le match se termine.

On peut dire sans se tromper que le talent de Roger Magnusson a atteint son apogée lors de la finale de Coupe de France en 1972 contre Bastia. Ce soir là, le tout nouveau Parc des Princes résonna de ses exploits, et le Suédois révéla à ceux qui ne le connaissaient pas, son immense talent. Tout au long du match il martyrisa les défenseurs bastiais et au sortir de dribbles dont il avait le secret, il délivra deux centres décisifs à Couécou et à Skoblar, permettant ainsi à l’OM de remporter sa huitième Coupe de France et son premier doublé.

Joao Havelange futur patron de la FIFA qui était à cette époque président de la Fédération brésilienne de football assistait au match. À la fin de la rencontre il eut ce commentaire élogieux : « Magnusson aurait sa place de titulaire dans tous les plus grands clubs brésiliens ». Le compliment est de taille quand on sait que dans les années 70, la plupart des joueurs brésiliens internationaux compris, évoluaient dans leur pays, qui était alors champion du monde.

Au sortir de cette saison 71/72, tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes olympiens. Hélas tout le monde le sait, à l’OM cela ne dure jamais bien longtemps. En plein cœur de l’été 1972, alors que se préparait la saison suivante, survint ce que Marcel Leclerc qualifia lui-même de « Nuit des longs couteaux ». En cette funeste nuit, cet homme qui avait repris le club alors qu’il croupissait dans les tréfonds de la D2, qui l’avait conduit au sommet, fut contraint à la démission par ses ennemis qu’il avait nombreux, pour une sombre histoire de malversations. C’est donc René Gallian qui lui succéda à la présidence.

Le nouveau président voulait marquer les esprits. Il s’était donc mis en tête de réunir sous le maillot blanc, les deux meilleurs avant-centres de la D1 d’alors, à savoir Josip Skoblar et le malien Salif Keita. Celui-ci évoluait à ce moment là chez le grand rival stéphanois, et si l’affaire se fit non sans mal, elle s’avéra au final une fausse bonne idée. En effet, outre la rage folle que cela provoqua chez le président stéphanois, le très colérique Roger Rocher, la conséquence immédiate fut de mettre Roger Magnusson sur le banc. Les clubs français ne pouvant en effet, aligner que deux joueurs étrangers, c’est le Suédois qui fit les frais de l’opération.

Le courant sur le terrain n’est jamais vraiment passé entre Skoblar et Keita, malgré un bilan plutôt honorable. Mais surtout, le public marseillais ne digérait pas d’être privé ainsi du chouchou du Vélodrome, le magicien blond Roger Magnusson, et de sa formidable et fructueuse association avec Skoblar.

Finalement Keita ne restera en tout et pour tout que sept mois à l’OM, qu’il quitta pour le club espagnol de Valence. Magnusson retrouvait donc sa place mais le cœur n’y était plus, et il finit par quitter le club de ses exploits à la fin de la saison 73/74. Il fit une dernière pige française au Red Star qui évoluait à l’époque en D1, avant de regagner sa Suède natale en 1975. Il jouera encore 4 ans au plus haut niveau dans son pays, avant de raccrocher les crampons en 1979, à l’âge de 34 ans.

Avant cela, il foula une dernière fois la pelouse du Vélodrome le 15 novembre 1974, à l’occasion du jubilé de Josip Skoblar son éternel complice. Il ne joua qu’une période, la première, et il fut éblouissant. Il vola même la vedette au héros du soir, et son nom fut scandé de longues minutes par un public marseillais (dont j’étais) ému et reconnaissant.

On retiendra de Roger Magnusson son dribble magique bien sûr, les titres gagnés, son duo infernal avec Skoblar, mais aussi sa gentillesse et son élégance sur et en dehors des terrains. Ne nous y trompons pas, il est une des plus grandes et des plus vivaces légendes de l’Olympique de Marseille, et aussi et surtout mon idole à jamais.

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A propos de JLMOM265


Né à Marseille le 30/11/1956. Jeune retraité après une carrière bien remplie dans le transport routier de marchandises (Direction d'agences et de services d'exploitation). Marié depuis 40 ans, Je vis depuis de nombreuses années en région grenobloise, et je suis l'heureux père de deux grands enfants, et grand-père d'un petit diable. Supporteur acharné de l'OM depuis près de 55 ans, je dors, mange et bois OM. Je sais c'est pas normal à mon âge, mais on ne me changera plus, c'est trop tard !
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3 Réponses pour Roger Magnusson, le magicien du dribble

  1. Ah Roger Magnusson et sa façon inimitable de faire passer à la vitesse de l’éclair le ballon du pied gauche au pied droit pour déstabiliser son adversaire et d’un crochet l’effacer tel le magicien qu’il était. Merci pour ce superbe article extrêmement bien documenté et écrit. Des souvenirs d’enfance me reviennent, les matches de foot homériques dans la cité… Mon frère ainé avait choisis le suédois, moi c’était l’aigle de Zadar, Josip Skoblar que j’idolâtrais. Le petit dernier de notre fratrie, le caganis, n’avait plus que les options dérisoires d’un Loubet ou d’un Couécou…

  2. Très bel article JL.
    Quelle époque, quel joueur !

  3. Merci, quelle belle époque avec des matchs et des joueurs fabuleux, qui respectaient le maillot du club et les supporters . Les matchs à la télé étaient rarissimes mais on se régalait .