Le poids des mots

En rejoignant MassaliaLive, je m’étais promis de n’être que correctrice des articles publiés, rien de plus, mais bon, mon métier n’est jamais loin et ce qui se passe aujourd’hui sur la sphère Twitter me pousse un peu à réagir.

L’actualité morose de l’OM peut parfois expliquer certaines colères ou débordement mais voyez-vous, mon quotidien est d’instruire des jeunes et de les pousser à réfléchir, s’informer, vérifier et croiser leurs sources, savoir écouter les autres et accepter qu’on n’ait pas tous la même opinion. Accepter le débat et faire valoir ses arguments par des faits solides. Ce qu’on appelle aujourd’hui de l’EMC (enseignement moral et civique).

Alors comment leur expliquer que leur père, mère, frère, sœur, voisins, oncles… se déchirent en ce moment sur la Toile en invectivant ceux qui ne sont pas du même avis qu’eux. En appelant parfois à ne plus suivre certains comptes, en traitant allégrement de collabos, de traitres ceux qui font le choix de penser par eux-mêmes et de ne pas suivre une pensée unique qui a émergée soudain sur Twitter et via les groupes de supporters : le boycott de tout ce qui touche à l’OM officiel.

Certains se posent en grands résistants face à un ennemi clairement désigné : le président Eyraud. Certains sont même allés jusqu’à traiter leur légende d’antan Basile Boli de collabo.

Beaucoup ont dormi pendant leurs cours d’histoire visiblement. Ils ne savent pas ce qu’était être un résistant à l’époque de Vichy.

Résistant/collabo, choisis ton camp

Donc c’est décidé, tu dois être soit un résistant soit un collabo.

Mais dans la Résistance les motivations des gens étaient diverses, les plus importantes étaient de lutter pour la démocratie, les libertés, l’antisémitisme mais aussi le désir d’informer la population avec de vraies actualités.

Or que faisait Vichy au même moment ? Les collaborateurs limitaient la liberté de s’informer correctement, interdisaient sous peine d’amende ou d’emprisonnement certaines émissions. Dès le 18/07/1940 un comité de propagande s’assurait que les discours aillent dans le même sens que ceux du chef Pétain. 2 à 3 % des courriers étaient même ouverts chaque semaine pour contrôler et censurer les mots et pensées des Français.

Aujourd’hui on a la police Twitter qui contrôle les comptes et regarde qui suit qui et qui pratique la menace si tu as le malheur d’avoir gardé Eyraud ou l’OM_Officiel dans tes abonnements. Un drôle de parallèle que de se poser en résistant quand, au contraire, on pratique la même méthode vichyste.

Ces pratiques créaient/créent un sentiment de méfiance, plus personne n’osait écrire le fond de sa pensée, on avait peur d’être pointé du doigt, dénoncé par d’autres, emporté par la vindicte populaire bref un bon climat nauséabond.

Quelle ironie quand je lis des appels à unfollower certains comptes car ils ont le malheur de ne pas obéir aveuglément à une consigne obscure. Car ils ont le malheur de vouloir varier leurs sources et d’écouter ce que chacun a à dire, quitte à démonter derrière leurs arguments. Bref juste débattre et non pas à jouer à celui qui gueulera le plus fort sans argument.

Un seul type de supporters ? Jouer selon la méthode Eyraud ?

Je rappelle qu’il a fallu attendre 1943 pour avoir un semblant d’union des Résistances avec la création du CNR (et ça ne veut absolument pas dire encore une fois que tous les groupes parlaient d’une même voix et renonçaient à leur ADN).

Qui étaient les résistants ? Leur origine sociale différait selon le groupe auquel ils appartenaient (tiens comme nos supporters). On pouvait trouver des hommes d’âge mûr, des étudiants, des cadres, des fonctionnaires, des cheminots, des membres de l’armée, des ouvriers, des femmes et même des enfants… Certains étaient athées, d’autres au contraire chrétiens, juifs, musulmans…

Certains étaient politisés, les groupes communistes constituant les premiers réseaux clandestins, d’autres étaient d’extrême droite, socialistes…

Mais ces gens ont su dépasser leur clivage pour lutter contre un mal commun. Certains luttaient pour des valeurs, leur liberté, d’autres pour leur vie. Se la jouer résistant aujourd’hui le cul devant son ordinateur près du radiateur est une insulte à ces personnes. Résister ce n’est pas rejeter l’autre et aller brûler des cyprès, bien au contraire.

Un jour, j’ai invité un monsieur aujourd’hui décédé, Raymond Tonneau, à venir raconter ses années de résistance devant mes élèves. Son récit était captivant et à la fois horrifiant. Il avait assisté à l’exécution de son frère d’une balle dans la tête par les Allemands. Quand il vous racontait cela, il y avait encore des larmes dans sa voix. Les ados étaient eux même assez tendus, émus. Un des gamins a posé une question à ce monsieur : « Vous devez les détester aujourd’hui les Allemands ? ». Sa réponse a été un grand moment d’humanité et une leçon d’humilité.

« Aujourd’hui je ne déteste personne. C’est justement la colère, la haine qui nous ont poussés à cette folie. Aujourd’hui je suis content qu’ils soient nos alliés et que nous soyons tous Européens. N’oubliez jamais que même blessé, en colère il faudra toujours renouer le dialogue avec votre voisin. Il n’y a qu’en se parlant, en se respectant que nous nous élèverons et que nous trouverons des solutions communes. Ne plus jamais laisser de telles horreurs se reproduire. Et c’est valable pour tous les évènements de votre vie ».

Les enfants se sont levés et l’ont applaudi longuement.

Je me dis que si des gosses de 14/15 ans ont compris ce jour là la force du dialogue et de la réconciliation, ce n’est pas encore une cause perdue pour la TeamOM.

Le poids des mots

Trahison, collabo. Vraiment ? Pourtant Boli avait « osé » tweeter : « Ce n’est pas le Marseille que j’aime. Ce n’est pas comme ça qu’on règle les problèmes. La violence n’a jamais rien résolu ».

Donc certains ont pensé que c’était suffisant pour le traiter de collabo et faire des parallèles douteux avec Vichy. On peut brûler ce qu’on a adoré un jour…

Je n’en dirai pas plus, c’est tellement risible qu’on ne peut que s’apitoyer sur ce genre de tweets.

Juste une chose, rappelez-vous que ce sont des collaborateurs qui ont pris en charge les rafles juives, les amenant aux portes des camps d’extermination et enfermant des familles entières à Drancy.

C’est la collaboration qui a permis la traque d’hommes et de femmes, le minage du quartier du Panier à Marseille par la police Française. 20 000 Marseillais seront emmenés en train dans des “camps d’accueil” situés dans la région, notamment au camp des Milles. C’est cela la collaboration, c’est un sujet grave ayant entraîné la mort de milliers de personnes, le crime contre l’Humanité.

Boli un collabo parce qu’il n’aime pas ce visage de Marseille et qu’il prône le retour à la raison ? Marseille, la belle, la cosmopolite qui fait résonner son stade Vélodrome.

On se demande qui aime vraiment ce club, cette ville parfois. Il faut manier les mots avec précision et respect.

Alors Voltaire n’a peut-être jamais dit « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire » mais ce n’est pas grave.

Soyons comme ces groupes de résistants, bigarrés, cosmopolites, de milieux différents mais unis pour une même cause commune, l’OM. Soyons libres d’aimer, de supporter, de gueuler, de ne pas être d’accord entre nous, contre la politique menée par Eyraud. Différencions nous de sa philosophie du supporter unique et propre. Revendiquons d’être les supporters que nous voulons être avec cette même liberté de ton que nos aînés nous ont léguée. Et arrêtons les amalgames foireux avec l’Histoire. Rappelons-nous que nous ne jouons pas nos vies et notre liberté comme nos grands parents mais que ce n’est que du foot.  Il n’est que temps.

 

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Article lu 1536 fois, écrit le par Dad Cet article a été posté dans Tribune libre et taggé , , . Sauvegarder le lien.

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