An 2014, le Nouvel Évangile II

C’était une chose que d’arriver en France avec un « système ». C’en était une autre que de l’appliquer dans un championnat aussi relevé que le nôtre. 

Tueurs en série

Il y avait eu deux journées difficiles et tout le monde rigolait bien de ce type bizarre, cette espèce d’autiste qui se la jouait intello et qui n’était pas fichu de gagner un match en L1… Puis ils en ont gagné huit. D’affilée. Et ont navigué en tête à sept encablures de l’Invincible Armada du PSG.

Juju et quelques Spécialistes de sa connaissance y perdaient sinon leur latin, qu’ils n’avaient jamais parlé, du moins leur jargon technique : « 4-2-3-1 ? 3-3-3-1 ? Et en changeant EN COURS DE MATCH ? Ad arbitrium ? – Hein ? Qu’es acquò ? »

Pierrot Méfess, jamais avare d’un bon mot, et qui avait été des premiers contempteurs de la méthode Bielsa, se faisait désormais aussi discret que le lui permettait son physique. Daniel Rigolo, qui avait toujours gonflé toute la profession avec ses analyses techniques de prof au tableau noir, répandait sa semen… sa science à longueur d’article dès qu’il parlait de cet OM-là. Ils tuaient les matchs ET la critique ! Certains assuraient qu’ils marchaient sur l’eau et guérissaient la sinistrose. Ils étaient leaders de droit divin.

La conf’ de sa bouche !

La salle de presse était pleine comme à chaque fois. Le café jouait au yoyo entre l’estomac et la gorge de Juju. Pour la première fois depuis qu’il était accrédité, il stressait d’arriver sans avoir préparé une ou deux questions pertinentes, des trucs un peu sérieux.

C’est que le Bielsa, il avait des réponses qui n’étaient pas dans le manuel de « L’Entraîneur de L1 face à la presse pour les Nuls ».

D’abord, il ramenait tout au terrain. On essayait d’avoir des détails croustillants, de savoir qui en voulait à qui, qui allait sortir du Loft cette semaine, bref, faire notre boulot de journalistes peop… euh, sportifs. Lui rabâchait comme à des gamins le pourquoi du comment de ses choix tactiques. Si encore il s’était adressé à eux directement. Mais il parlait à son pupitre et un grand échalas neurasthénique traduisait en espéranto javanais et personne ne comprenait. Comme à la tour de Babel-Oued, là.

Hélène Petitrenard, la consœur qui avait du monde au balcon du Vélodrome, en bavait de rage.

L’autre fois, carrément, devant les journalistes interdits (enfin, autorisés, puisqu’ils étaient là, mais incrédules), l’animal s’était mis à dézinguer le président himself sous prétexte de ne pas avoir eu les jouets, euh joueurs, promis à l’intersaison. Mais pour qui se prenait-il ? Le fils de Dieu ? Il allait se faire crucifier ! Branle-bas de combat ! Il pouvait numéroter ses abattis et les ranger dans sa valise direction Buenos Aires. Il était mort. Éparpillé façon puzzle, comme dirait l’autre.

Eh ben, non. Même pas. Au troisième jour, il ressuscitait par la grâce d’une énième victoire. Tout juste si la Russe ne lui lavait pas les pieds avec ses cheveux de peur d’être lapidée par les supporters. Une secte, je vous dis.

La Croix et la Glacière

Juju était au bord de l’ulcère. Son patron, Toti, lui avait réclamé un bilan de la demi-saison de l’OM. Malgré quelques défaites finalement anecdotiques face à des adversaires directs, le club continuait son parcours en toute sérénité. Et il était toujours incapable de saisir le personnage, de trouver un angle qui donne un intérêt à ce type mal fringué toujours au bord du terrain assis sur sa glac… Minute ! Le voilà l’angle cool. La Glacière !

On avait là de quoi se faire un stock de plaisanteries faciles, un running gag, même. Alléluia ! Hosanna au plus haut des cieux ! Voilà un sujet qui lui permettrait de pisser de la copie sans trop d’efforts.

On pourrait délirer sur ce qu’il y avait à l’intérieur.

Un lointain réflexe de son école de journalisme lui dit que ça serait bien d’aller voir ce qu’elle contenait vraiment. Et dès la fin du match, il s’approcha subrepticement du récipient isotherme, l’entrouvrit discrètement et prit une photo avec son portable. Elle contenait de la glace, des bouteilles individuelles d’eau minérale et… au milieu, reposait une sorte de gobelet en métal doré, évasé et monté sur un pied robuste, qui semblait luire doucement et émettre un son apaisant comme un chœur d’anges.

Juju était troublé. Des résultats sportifs inespérés, des joueurs transfigurés, voire transsubstantiés, des crises qui passent sans éclabousser, et maintenant… ça ! Malgré tout, le sentiment qui prédominait dans son esprit était de la hargne, voire de la haine. Il n’aurait su dire pourquoi : l’OM gagnait après tout, ça aurait dû le réjouir. Mais ce type bizarre, qui détonnait dans le paysage de la L1, qui avait pris la place de Josélie avec les mêmes moyens et se voyait auréolé de tant d’insolents succès, c’était…

Bah, son clash avec le président et sa gestion des joueurs choisis par lui avaient déjà érigé les deux montants de sa croix.

Quelques mauvais résultats fourniraient les clous, et alors…

« Oh, Juju, tu rêves ? » C’était un de ses potes, un proche du club tel qu’il l’aimait, un ami de Josélie, qui lui tapait sur l’épaule. « Josélie m’a dit qu’il te devait du fric, et il m’a demandé de te payer de sa part. Je dois y aller. Tiens, prends tes trente euros…

Adieu, Judas ! »

Première partie à lire ici : http://www.omlive.com/edito/an-2014-le-nouvel-evangile-i

Écrit par Selfmade footix