Au mois de mai 2014, l’OM termine péniblement sixième de la Ligue 1 à vingt-neuf points du lauréat, le PSG. Une saison à oublier pour des joueurs peu concernés et surtout, pour des supporters complètement abattus face au pitoyable spectacle infligé dès les premiers matches…
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Les travées du Vélodrome réclament le départ du « staff Anigo » et obtiennent pratiquement gain de cause. C’est le point d’orgue d’une crise qui couvait depuis bien trop longtemps. Mis sous pression par les supporters, Vincent Labrune, toujours aussi bien coiffé au demeurant, se doit alors de trouver un coach capable de mener à bien son « projet Dortmund », quitte à regarder au-delà des frontières nationales.
Il porte son choix sur André Villas-Boas, désormais priorité du club. À l’issue d’une rencontre avec l’intéressé, qui refuse le poste, l’ancien conseiller du regretté Robert Louis-Dreyfus se fait souffler à l’oreille le nom de Marcelo Bielsa. Le profil du technicien argentin, affectueusement surnommé « El Loco » par ses supporters et ses joueurs correspond en effet idéalement aux déclarations faites en décembre 2013 par le dirigeant marseillais, où il assurait rechercher « un vrai technicien, à la hauteur des ambitions du club ». Et d’ajouter : « L’OM a besoin d’un entraîneur capable de faire progresser l’équipe collectivement. Et ça ne court pas les rues, surtout en France… »
Séduisante sur le papier, cette aventure va cependant se révéler longue et complexe avant d’aboutir, car, la situation financière de l’OM ne permet plus de faire de folies, et en outre, parce l’heureux élu est un personnage à part dans le landerneau du football ! Un feuilleton à rebondissements débute ainsi au mois d’avril 2014 avec la confirmation de contacts entre le club et l’entraîneur sud-américain lors du match OM-Ajaccio. Ce jour-là, les journalistes et les supporters ont même la chance d’apercevoir Marcelo Bielsa au stade Vélodrome, accompagné de son fidèle adjoint, Diego Reyes. C’est un signe encourageant, car l’homme est adoubé par ses pairs et se situe à maints égards, très au-dessus de ce qui se fait en Ligue 1.
Après plusieurs semaines de négociations denses et pointilleuses qui font les choux gras de la presse, Vincent Labrune officialise le 2 mai 2014, l’arrivée pour deux saisons de Marcelo Bielsa à la tête de l’effectif olympien. La « révolution » culturelle – et structurelle – est en marche et les supporters marseillais retrouvent enfin le sourire après des années de désillusions !
Labrune, la blonde et l’OM
Depuis les péripéties liées à la location du stade Vélodrome l’été dernier, le président de l’OM ne s’est guère épanché dans la presse. Certains y voient une attitude saine pour le club, d’autres une façon de fuir ses responsabilités. Encore très présente il y a quelques mois dans les discussions de supporters, cette question est cependant reléguée au second plan, car l’OM caracole actuellement en tête de la L1, devant le « Grand PSG » et le meilleur club formateur, l’OL.
Avec des résultats sportifs supérieurs aux annonces de début de saison, une structure de club de plus en plus professionnalisée (c’est toute la différence entre un entraîneur et un saltimbanque), et un stade rénové et modernisé, Vincent Labrune aurait pourtant toutes les raisons de s’enivrer de sa réussite dans les médias et de tirer la couverture à lui comme savait si bien le faire Pape Diouf… Il s’en garde, et contrairement à ses prédécesseurs, jouit pleinement de la confiance de l’actionnaire principal du club, Margarita Louis-Dreyfus.
Aujourd’hui, il semble être redevenu le véritable patron de l’OM et déclare, à qui veut l’entendre, qu’il peut « se concentrer sur son budget, et même faire de la prospective ! »
Il assure d’ailleurs en avoir fini avec la « gestion affective des joueurs », celle qui a prévalu pendant des années où il cherchait à protéger son effectif y compris lorsqu’il était indéfendable. Avec le temps, il a eu le sentiment d’avoir été « trahi » par ses joueurs, qu’il ne « pouvait même plus voir ». Joignant la parole aux actes, Vincent Labrune a effectivement changé son fusil d’épaule, notamment à travers l’épisode estival du « Loft » destiné à pousser les indésirables vers la sortie (J. Ayew, Kadir, Sougou, Raspentino, Amalfitano et la CFDT représentée par Cheyrou). La méthode a parfois choqué, et les résultats se sont fait attendre, mais la volonté du président d’en finir avec des habitudes anciennes a porté ses fruits et le club profite pleinement de ce changement de cap.
De fait, Vincent Labrune a décidé de laisser la gestion du terrain à Marcelo Bielsa et a pris beaucoup de recul vis-à-vis du groupe pour se concentrer réellement sur la gestion du club et son organisation structurelle et économique. On peut critiquer son choix, mais les résultats lui donnent raison, aussi bien sur le plan sportif qu’en matière d’équilibre budgétaire.
Pour autant, il n’a pas échappé au mini raz-de-marée médiatique provoqué par les déclarations de Marcelo Bielsa en début de saison, ce dernier remettant publiquement en cause sa conduite du mercato estival. L’incident est resté sans suites, car il s’agissait plus d’un contretemps lié à la difficulté de vendre certains joueurs (Ayew et Fanni notamment), qu’à une réelle opposition sur le fond. Par conséquent, une réunion a suffi à remettre les choses à plat entre les deux hommes sans qu’aucune sanction ne soit prise à l’encontre de l’entraîneur marseillais. Vincent Labrune est resté très discret à ce sujet et a signalé simplement que l’affaire était close.
Avec le recul, cette décision décrite à l’époque par certains observateurs comme un aveu de faiblesse apparaît aujourd’hui pertinente et courageuse. En effet, en attirant toutes les critiques sur sa personne, alors que la presse dans son ensemble était prête à mettre en pièces l’OM et l’entraîneur argentin, Vincent Labrune a remis la réalité sur ses pieds, sans rien dévoiler des coulisses du club ni désavouer Marcelo Bielsa. Pas mal pour un incapable, d’autant plus que « l’affaire » s’est rapidement tassée avec l’obtention d‘excellents résultats dès la troisième journée du championnat.
Plus tard, lors de l’épisode de sa garde à vue relative aux transferts suspects réalisés entre 2007 et 2010 (en particulier celui de Gignac), il a traversé les évènements avec beaucoup de sérénité sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui. Un dossier équivalent aurait fait grand bruit par le passé, mais cette fois, en dépit d’une évidente emphase médiatico-judiciaire, les choses se sont estompées aussi rapidement qu’elles étaient apparues… En guise de conclusion, une déclaration officielle a émané du club pour souligner sa probité et sa cohésion en précisant que tous les transferts avaient été faits « dans le respect des règles professionnelles et éthiques » et que « l’actuelle équipe dirigeante gardait la confiance de l’actionnaire majoritaire. » Bref, circulez, il n’y a rien à voir !
Il faut croire que « pétale » comme le surnomment certains supporters a appris de ses erreurs et s’affirme peu à peu comme un acteur crédible sur la scène footballistique française en dépit d’un parcours chaotique.
D’ailleurs, malgré ces quelques mésaventures, il est aujourd’hui appréciable de voir le président de l’Olympique de Marseille se consacrer essentiellement à la gestion de son club afin de le faire progresser et de le rendre économiquement autonome. On peut lui reprocher son silence lors des avis de tempête, voire un manque de communication global pour mettre le club plus en avant ou le défendre lorsqu’il est la cible de critiques infondées, mais aujourd’hui tout cela importe peu, car l’OM est pour l’heure en tête de la L1 devant « l’ogre parisien ».
El maestro
« Vous n’avez pas le droit de perdre la balle sans rien faire ! Faites comme si on vous avait arraché une couille ! » (Marcelo Bielsa).
Simple, clair et laconique. Voilà en quelques mots ce qui pourrait traduire et exprimer la communication de l’entraîneur argentin. Il sait où il va et il sait ce qu’il dit. Tout est réglé à la perfection et a pour but de défendre systématiquement les intérêts du club et des joueurs. Pour autant le personnage est aussi un exemple de déférence et de fairplay dans un milieu où les coups volent comme tout le reste : assez bas !
En interne et auprès des joueurs, il fait comprendre que c’est lui le patron. Vis-à-vis du président, c’est la même chose, le sportif c’est lui et personne d’autre ! Face aux médias en revanche, il protège son groupe et n’hésite pas à être LE bouclier de l’équipe. En réalité, il agit exactement comme le ferait n’importe quel grand entraîneur dans un grand club : il fait son métier de A à Z, en fonction d’une ligne de conduite précise, la sienne, et dans le respect total de l’institution OM. Ça paraît évident dans l’absolu, mais du côté de la commanderie, ce mode de fonctionnement est assez nouveau, surtout en regard des dernières saisons…
Depuis son arrivée à Marseille, il en a surpris plus d’un, car devant la presse du football, l’entraîneur sud-américain détonne. Malgré ce style atypique, en tout cas inédit en Ligue 1, Marcelo Bielsa fait preuve d’une grande maîtrise dans son discours et, comme toujours, va exactement où il veut aller.
Première conférence de presse et première surprise : il ne regarde pas ses interlocuteurs ! Réponse de l’intéressé lorsqu’on lui demande pourquoi : « je regarderai les gens dans les yeux quand je lèverai les yeux de mon livre d’apprentissage du français ». Regarder son interlocuteur c’est lui donner de l’importance et on pourrait penser que Bielsa méprise les journalistes, mais cela ressemble surtout à de la timidité ou de la réserve de sa part, confirmant ainsi qu’il est réellement dans son monde intérieur.
Lorsqu’on lui parle de coulisses, d’affaires, de médias, il parle de jeu. Lorsqu’on lui tient un discours de Café du Commerce, il répond en technicien, en tacticien, en spécialiste hors pair… Lorsqu’on lui parle enfin de football, son visage s’illumine et il joue la carte de la franchise et de la passion jusqu’au bout. La profession a très vite pris en grippe cet homme singulier, agacée par ses compétences, ses résultats, et sa liberté de pensée. Puis, engouement aidant, elle a succombé à une forme d’admiration tacite, avant de se reprendre rapidement et de revenir à un ostracisme de bon aloi. On ne change pas le naturel…
Certains osent même parler du « Syndrome d’Asperger » (troubles perturbant la vie sociale, la compréhension et la communication), mais encore une fois Bielsa a la réponse : « D’autres entraîneurs, dont je ne citerai pas les noms, ont aussi des problèmes d’expression et ce n’est pas pour autant qu’on fait un diagnostic clinique ». De surcroît, il ne sourit jamais, ou très rarement, et cela peut agacer. Pour autant, attend-on d’un entraîneur un one-man-show ? Bielsa ne se cache pas et reste cohérent dans son approche et sa communication. Son comportement est froid, mais il n’est pas là pour amuser la galerie. Il parle de football et ne triche pas en essayant d’être toujours le plus précis et le plus complet possible, sans se soumettre au jeu de dupes auquel les médias nous ont habitués depuis des lustres, quitte à passer pour un autiste aux yeux des journalistes.
Ce qui pourrait passer pour une forme de naïveté est pourtant extrêmement fin et rodé d’ailleurs, il ne laisse rien au hasard et sait parfaitement quoi faire.
• Il ne quitte jamais son survêtement OM ; il porte les couleurs du club et cela contribue à son acceptation auprès des supporters et de joueurs.
• Son attitude en conférence de presse avec ses lunettes et son regard dirigés vers le sol traduit a priori un manque d’assurance et amène peu à peu les gens à penser qu’il est « trop innocent pour être coupable ».
Or, ça marche à la perfection comme en atteste sa sortie médiatique en septembre dernier sur le mercato estival où il accusait Vincent Labrune de lui avoir menti. Personne n’avait alors douté de ses déclarations et on avait même fini par remettre en cause les propos du président marseillais (qui de son côté avait également fort bien joué le jeu) !
• Avec les joueurs, le traitement est le même pour tous.
Peu importent le statut, le salaire, ou la popularité auprès des supporters : l’important c’est le terrain. Qu’il s’agisse d’un vieux briscard populaire ou d’un jeune découvrant le monde professionnel, ils sont tous traités à la même enseigne et seuls les meilleurs méritent de jouer ! Payet peut en témoigner. Meilleur joueur olympien au cours de la première partie de la saison, il est pourtant renvoyé en vacances prématurément à quelques heures du dernier match avant la trêve hivernale, du fait de son manque d’implication à l’entraînement ! Encore une fois, le boss, c’est Marcelo.
À l’évidence, El Loco est très malin dans son propos et très réfléchi dans son approche. Par conséquent, il réussit à s’imposer facilement auprès des joueurs et à manipuler des médias peu habitués à faire face à quelqu’un de très courtois qui ne parle que de travail, de technique, d’efforts et qui prise la vérité absolue. Voilà qui est sacrément rafraîchissant dans le football moderne, glacière ou pas !
Forza Bielsa !
L’entraîneur marseillais déteste tout ce qui est lié au foot business et se contente de communiquer au minimum sur ces sujets. Il n’y a aucune mise en scène facile dans sa prise de parole, mais au contraire, beaucoup de métier, de recul et d’expérience, et chacun est à sa place, du président au joueur, de l’entraîneur au journaliste, du staff à la presse. En comparaison avec les saisons passées, l’ambiance au club est extrêmement tranquille et studieuse depuis l’arrivée de Marcelo Bielsa. Par ailleurs, le personnage fascine autant qu’il dérange, mais ses méthodes et son professionnalisme impressionnent : Zinedine Zidane, Claude Makélélé, Éric Roy, Bernard Diomède et Guy Lacombe, ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en rencontrant récemment le technicien argentin à La Commanderie…
Cette façon de faire et cette implication de chaque instant séduisent les supporters pour lesquels Bielsa éprouve un profond respect. Le technicien est respecté, loué dans les travées du Vélodrome lors des matches, et s’il y a des critiques ou des questionnements parfois légitimes, personne ne remet en cause celui qui a rendu sa fierté à l’OM.
Marcelo Bielsa réussira peut-être à rendre également au club ses lettres de noblesse en remportant le titre en fin de saison. Ce sera difficile, car la concurrence est rude, mais grâce à son travail, c’est aujourd’hui possible alors que c’était inimaginable il y a seulement quelques mois…
Dans le Portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde écrivait : « Nul ne rencontre deux fois l’idéal. Combien peu le rencontrent même une fois ! ». Les supporters marseillais pourront se targuer d’avoir connu cet idéal.
Gros travail et texte bien ficelé, bravo !