La finale de la 8e édition de la Coupe du monde féminine décidera aujourd’hui si la couronne suprême restera pour quatre années supplémentaires sur la tête des États-Unis, tenants du titre, ou prendra la direction des Pays-Bas, déjà champions d’Europe. À 17 heures, à Lyon.
Dimanche 7 juillet – 21 h – Stade de Lyon
ÉTATS-UNIS – PAYS-BAS
Si les supporters et les fans* des triples championnes du monde états-uniennes ne peuvent envisager autre chose qu’un quatrième triomphe planétaire, après ceux de 1991 (contre la Norvège lors de la toute première édition de la CdM, 1999 à domicile contre la Chine, et 2015 devant le Japon), à l’occasion de leur troisième finale consécutive (celle de 2011 fut perdue face aux Nadeshiko), l’armée oranje des Pays-Bas rêve, elle, d’un premier sacre qui doublerait celui de champion d’Europe obtenu il y a deux ans à la maison.
Le conservatisme états-unien
Une victoire des États-Unis, attendue et considérée par avance comme normale, confirmerait un statu quo, ou plutôt une remise en ordre de la hiérarchie planétaire, après que l’équipe d’Alex Morgan ait échoué aux J.O. de Rio 2016 dès les quarts de finale (une première) dans une compétition considérée comme une mini coupe du monde et véritable chasse gardée avec ses 4 médailles d’or décrochées en cinq éditions jusque là. En d’autres termes, un retour à un conservatisme bien connu, celui d’un succès systématique du numéro 1 FIFA. Une couronne mondiale considérée quasiment comme de droit divin dans ce pays hyper religieux, où la notion de prédestination à être un leader mondial dans tous les domaines imprègne tant le quotidien de ses citoyens. Cette couronne ne peut que revenir au pays du Soccer, estampillé pays du football féminin.
Reverra-ton ce dimanche cette scène de 2015 à l’identique ?
Pour qui s’intéresse un minimum au sport international, et plus précisément ici au foot féminin, sait combien les sportifs/ives de ce pays ont la foi chevillée au corps. Je ne parle pas ici de la foi en Dieu – je le pourrais, tant les discours des champion/nes sont empreints de religiosité et de remerciements envers celui-ci –, mais de foi en eux/elles mêmes. Une foi inébranlable qui, lorsqu’elle est trahie par la défaite toujours possible, déclenche un véritable sentiment de catastrophe nationale, comme après les échecs de 2011 ou 2016. C’est cette certitude que rien ne peut, ne doit leur arriver qui transforme les joueuses en rouleau compresseur à chaque début de match.
Bien entendu, ces certitudes débouchent parfois sur ce que certain/es jugent comme de l’arrogance. Le sujet fait polémique entre ceux qui s’en irritent et ceux qui s’offusquent que leurs protégées puissent être accusées d’un tel comportement. Les épisodes des célébrations sans la moindre retenue des 13 buts passés à la Thaïlande, 34e nation mondiale, ou celle dite de « la tasse de thé » d’Alex Morgan après son but inscrit face à l’Angleterre, ont été largement et – furieusement – débattus ces derniers jours sur les réseaux sociaux. À tel point que, finalement, peu se sont penchés avec sérieux et recul sur la véritable valeur du jeu pratiqué par les États-Unis depuis le début de cette compétition. Il faut ici répéter ce qui a été précédemment écrit. Les médias non spécialisés qui s’intéressent pour la première fois ou presque au football féminin se sont enthousiasmés aux triomphes en matchs de poule. Pourtant, ces trois résultats (Thaïlande 13-0, Chili 3-0, Suède 2-0) n’avaient aucune réelle signification, de manière évidente pour les deux premiers vu la faiblesse des opposantes, et pas beaucoup plus pour le troisième, la Suède ayant fait tourner son effectif en jouant a minima afin de se préserver de blessures et cartons avant un 8e de finale difficile contre le Canada…
Non, là où la valeur du jeu de ces États-Unis 2019 allait pouvoir être jugée serait lors des matchs couperets. Et l’on a vu. Ou, plutôt, on n’a pas vu grand-chose. En 8e, l’Espagne – décevante lors de ses matchs de poule – leur a tenu la dragée haute, et sans deux pénaltys, dont le deuxième (décisif) imaginaire, que serait-il advenu des championnes du monde en titre ? En 1/4 de finale, les États-Unis se retrouvèrent acculés sur leur but toute une mi-temps, en forme « bus », par une France pas vraiment flamboyante et où seules trois joueuses (dont la gardienne de but) évoluèrent vraiment au niveau attendu. Pas glorieux. En demi-finale, ils furent sauvés par une décision arbitrale en leur faveur alors que, là encore, leur adversaire du jour était dans un jour sans.
Supporters et fans des États-Unis se moquent de savoir si leur équipe joue bien ou de façon très moyenne, voire médiocre, et on les comprend aisément. Mais l’observateur neutre, lui, attend autre chose de championnes du monde candidates à leur propre succession. Surtout lorsqu’il se souvient qu’en 2015 les performances des États-Unis avaient déjà été du même tonneau en dehors d’une finale surréaliste. Si l’on aime le football féminin pour ses qualités intrinsèques, on ne peut que souhaiter voire la discipline représentée au niveau planétaire par ce que celle-ci peut offrir de plus excitant et de plus achevé en pure qualité de jeu. Or, force est de constater que, jusqu’ici – toute hype et buzz mis de côté, car trop souvent présents pour des raisons extrasportives – ces États-Unis-là ne remplissent pas ce contrat…
Debout, de g à d: Morgan, Mewis, Naehler, Horan, Lavelle, Heath.
Accroupies: Daelkamper, O’Hara, Rapinoe, Hertz, Dunn.
Composition d’équipe probable
Naeher – O’Hara, Daelkamper, Sauerbrunn, Dunn – Mewis (ou Horan), Hertz, Lavelle – Heath, Morgan, Rapinoe.
Joueuses à surveiller : Rapinoe (n°15, Seattle), Morgan (n°13, Orlando), Lavelle (n°16, Washington Spirit).
Résultats précédents
E-U 13-0 Thaïlande
E-U 3-0 Chili
E-U 2-0 Suède
E-U 2-1 Espagne – 8e F
E-U 2-1 France – 1/4 F
E-U 2-1 Angleterre – 1/2 F
6 M, 6 V, 0 N, 0 D, 24 bp, 3 bc, +21
Meilleure buteuse : Morgan – 6 buts
Meilleure passeuse : Morgan et Rapinoe – 3 passes décisives.
La révolution oranje
Face au désir de conservatisme états-unien se dresse l’ambition d’une révolution oranje. Les Néerlandaises en ont déjà achevé une à laquelle peu de monde croyait : devenir les reines de l’Europe à l’occasion du tournoi continental organisé à domicile. Mais, plus encore que le fait de mettre un terme à six titres consécutifs de la grande Allemagne, ce fut la manière qui impressionna. Oubliés, les Pays-Bas besogneux et défensifs vus à l’œuvre à leurs rares apparitions en phase finale d’un tournoi international (Euro 2009 et 2013, CdM 2015). Coachées depuis six mois seulement par Sarina Wiegman, les Néerlandaises offrirent à leurs très nombreux supporters, mais aussi aux (télé)spectateurs du monde entier, l’image d’une équipe tournée vers l’attaque, enthousiaste et généreuse, en un mot emballante.
L’armée oranje dans les rues de Valenciennes
Autant dire que pour leur deuxième apparition en phase finale de coupe du monde, les attentes étaient élevées. La révolution serait-elle permanente et planétaire ? Au matin de la finale, l’observateur ne sait pas trop quoi penser. Oui, les Néerlandaises sont au plus fou des rendez-vous et défieront bien les tenantes du titre après six succès en autant de matchs. Le rêve d’un doublé en enchaînant couronnes européenne et mondiale vit toujours. Ce que seules la Norvège (1993 et 1995) et surtout l’Allemagne avec ses cinq titres en continuité (Euros 2001, 2005, 2009 et CdM 2003 et 2007) surent réaliser. Mais où sont les Pays-Bas conquérants de 2017 ? Si les États-Unis n’ont pas exposé un niveau de jeu convaincant jusqu’ici, on peut en dire autant des championnes d’Europe. Après avoir réussi le minimum syndical en groupe (certes trois victoires, mais sans panache), on vit des Néerlandaises en maîtrise une demi-heure seulement devant le Japon, avant de subir, pour finir par être surclassées par les Nadeshiko. Il fallut un pénalty plus qu’heureux à la dernière minute pour passer au tour suivant. Lors de celui-ci, dans la canicule valenciennoise, les Pays-Bas sortirent sans doute leur meilleur match face à l’équipe surprise du tournoi, l’Italie, mise sous l’éteignoir. Mais en demi-finale, les Oranje nous offrirent une prestation indigente, et la logique eût voulu que ce soit leurs adversaires suédoises (certes à peine plus brillantes), et non elles, qui accèdent à la finale.
La sélection néerlandaise est de toute évidence handicapée par la blessure de Lieke Martens, la star de 2017 (élue joueuse FIFA de l’année dans la foulée), victime d’une fracture d’un orteil, et qui ne « fonctionne » que par à coups, et la méforme totale de Shanice van de Sanden, ou plutôt son très pâle clone, tant son jeu est à des années-lumière de celui, dévastateur, de l’Euro. Ne pouvant bénéficier de l’apport habituel et décisif de ses deux ailières de feu, Viviane Miedema se retrouve limitée dans ses occasions. Alors ? Les Pays-Bas vont-ils ressusciter en ce 7 juillet et réussir à mener à bien leur révolution ?
Debout de g à d: Van Dongen, Miedema, Bloodworth, Van der Gragt, Spitse, Van Veenendaal. Accroupies: Martens, Van de Donk, Van de Sanden, Van Lunteren, Groenen.
Composition d’équipe probable
Van Veenendaal – Van Lunteren, Bloodworth, Van der Gragt, Van Dongen – Groenen, Van de Donk, Spitse – Van de Sanden (ou Beerensteyn), Miedema, Martens (ou Roord).
Joueuses à surveiller : Martens, si elle joue (n°11, Barcelone), Van de Donk (n°10, Arsenal), Miedema (n°9, Arsenal), Spitse (n°8, Vålerenga).
Résultats précédents
Pays-Bas 1-0 Nouvelle-Zélande
Pays-Bas 3-1 Cameroun
Pays-Bas 2-1 Canada
Pays-Bas 2-1 Japon – 8e F
Pays-Bas 2-0 Italie – 1/4 F
Pays-Bas 1-0 Suède – 1/2 F
6 M, 6 V, 0 N, 0 D, 11 bp, 3 bc, +8
Meilleure buteuse : Miedema – 3 buts
Meilleure passeuse : Spitse – 4 passes décisives (meilleure passeuse du tournoi).
On a de quoi être légitimement inquiet. Si cette Coupe du monde – d’une qualité générale plutôt décevante – devait se conclure par deux performances, états-unienne et néerlandaise, semblables à ce que l’on a vu lors des matchs précédents de ces deux équipes, ce serait un bien mauvais coup porté à la discipline. La valeur de celle-ci ne relève pas d’un soutien médiatique inégalé jusqu’ici ni des stades remplis, mais bien avant tout de la qualité du jeu proposé. Celles des futures nouvelles (ou pas…) championnes du monde. Et pour l’instant, le compte n’y est pas…
Précédentes confrontations en CdM
Aucune
Prono : États-Unis
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* Les fans en football féminin se différencient des supporters traditionnels. Ceux-ci soutiennent une équipe pour diverses raisons, semblables aux supporters de foot masculin : origine locale ou nationale, fidélité à un club d’enfance, fascination pour l’histoire attachée au club ou à la sélection, jeu particulier pratiqué par ceux-ci, etc. Le ou la fan relève d’autres critères, pas forcément exclusifs les uns des autres. Un attachement aux « meilleures », par exemple. Comprenez par là aux vainqueurs. Ce qui plaît au fan est d’appartenir à un clan, celui des gagnants. Et plus la hype autour des vainqueurs est importante, plus le/la fan est content/e. On peut y voir une sorte de resucée du fameux footix…
Un peu comme les Ultras, ou du moins un certain nombre d’entre eux, le/la fan a beau être viscéralement attaché/e à une équipe, il ou elle ne s’intéresse pas forcément au jeu pratiqué par celle-ci. À la limite, il ou elle ne regarde même pas les matchs (combien d’Ultras tournent le dos à la pelouse, prenant leur plaisir à rester soudés ensemble, à sauter et à chanter ? L’animation du stade importe bien plus que le football lui-même). Il n’est pas rare de croiser au bord des terrains de foot féminin des fans « adorant cette équipe et cette ou ces joueuses ! », mais incapables de savoir ce qu’est un hors-jeu ou combien durent chaque période de jeu…
Seuls comptent le résultat (la victoire) et l’environnement. Mais, surtout, le/la fan de foot féminin donne son amour aux joueuses. Et c’est ici davantage la personnalité de la joueuse qui prédomine dans le choix. Par personnalité, comprenez tout un tas de choses allant de son physique à son adhésion à la mode, en passant par les secrets – plus ou moins bien gardés, et machines à phantasmes – de sa vie privée, sans oublier bien sûr son activité sur les réseaux sociaux (plus importante souvent que celle sur le terrain) ou bien encore sa famille. Le/la fan devient de facto un fanboy ou une fangirl. Le football féminin favorisant encore une possible proximité avec les joueuses, le phénomène s’apparente vite à celui des groupies. Un parallèle entre le suivisme envers des équipes de foot féminin (via les joueuses) d’une part, et des chanteuses ou groupes Pop (notamment issus de la K-Pop ou J-Pop) ou actrices de l’autre, pourrait être mené…
Au niveau des sélections nationales, seuls les États-Unis génèrent un véritable fanclub planétaire.