Le spectacle sportif sur le terrain restant résolument indigeste, l’équipe de Massalialive a décidé de relever le gant et le niveau en adaptant au contexte de l’OM actuel un classique du théatre français, « Docteur Knock, ou le triomphe de la médecine », de Jules Romain.
L’argument
Nous sommes fin octobre 2016.
Franck McCourt, tout nouveau propriétaire de l’OM, est à la recherche d’un directeur sportif. Il faut un technicien compétent, lucide. Il doit être capable de dresser un bilan de santé, diagnostiquer les maladies dont souffre le club et, le cas échéant, administrer les remèdes nécessaires – si amers soient-ils.
Un spécialiste anglais, le Dr KICK Andrush, a répondu à son appel et vient au chevet de l’équipe prendre le pouls du malade.
Joueurs et encadrement sont pourtant persuadés que tout va bien dans l’institution marseillaise et ne voient que des « choses positives » qui méritent d’être mises en exergue. Ils vont rapidement déchanter…
« Mon diagnostic est sans appel, vous n’avez ni cœur ni tripes. Quant au cerveau, comment dire…. »
Le praticien d’outre-Manche a demandé à recevoir les différentes parties prenantes de l’équipe et de son entourage pour discuter de leur état de forme et procéder à un check-up rapide des forces et faiblesses du club.
En se rendant à son bureau, il croise tout d’abord un journaliste « proche du club », venu aux nouvelles.
Acte I. La presse
KICK : Bonjour. Vous travaillez au journal local ? Vous êtes donc le relais privilégié de la direction du club envers la population et les supporteurs ?
Le Journaliste : Bah, non, ces dernières années, le Président avait ses propres réseaux dans la presse et ne me donnait que peu d’annonces à faire, Monsieur.
KICK : Docteur, appelez-moi Docteur, j’y tiens beaucoup, et ne parlez de moi qu’en ces termes. J’aurai quant à moi quelques informations à faire filtrer, sans nommer la source bien sûr, dans votre publication.
LJ : Oui, bien sûr ! Vous voulez un entrefilet en pages « sport » ou un grand éditorial ?
KICK : Quels sont les tarifs ? Et les prestations ?
LJ : Ben, l’entrefilet sera lu par quelques milliers de personnes. L’édito est beaucoup plus avantageux ! Il vous assure plusieurs dizaines de milliers de lecteurs pour finalement guère plus cher.
KICK : Bon, je prends l’édito. Voici le texte que je souhaite voir publier.
LJ (il a manifestement des difficultés à lire) : Euh, je m’y connais très bien en communiqués, mais qu’est-ce que ça dit, en gros ? Ceux de l’ancienne direction n’étaient pas toujours très compréhensibles.
KICK : Ça dit que ma porte est toujours ouverte aux agents de joueurs et autre intermédiaires plus ou moins louches pour discuter transferts et commissions.
LJ : Ah ! Ça ne change guère alors ? On approche justement du mercato d’hiver. Vous allez vite avoir une file d’attente devant votre porte.
KICK (souriant mystérieusement) : On verra, on verra. Si j’avais voulu faire de l’argent, je serais resté en Premier League.
LJ : Au fait, puisque je suis ici, je peux vous demander votre avis professionnel sur mon ressenti des matchs de l’OM ?
KICK : Soit ! Mais vite alors, j’ai du travail.
LJ : Ben voilà, avant, je m’enthousiasmais, j’étais en rage ou débordant de joie selon le résultat. Puis j’ai été en colère devant les purges à répétition et la gabegie en coulisses. Depuis la fin de saison dernière, j’étais résigné. Maintenant, j’ai une sensation bizarre quand je regarde un match.
KICK : Une sensation bizarre ? Précisez.
LJ : Ben, c’est comme un chatouillis ou un gratouillis dans cette zone (il désigne son entrejambe).
KICK : Ah, attention ! Ne confondons pas. Ça vous chatouille ou ça vous gratouille ?
LJ : Ben, ça me gratouille, mais ça me chatouille bien aussi un peu. Surtout quand par hasard on voit une belle action.
Comme on dit ici, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre.
KICK : Bien, parce que si ça gratouille, ce sont des morpions, et on a bien assez de parasites comme ça. Et quand vous voyez un beau match ? Avec des joueurs de talent.
LJ : J’en vois plus depuis longtemps.
KICK : Mais si vous en voyiez un, le Barça par exemple ?
LJ : Ah, ça ! Il me semble que si j’en voyais un, ça me gratterais plus, et que même ça pourrait faire comme une contraction, une barre.
KICK : Je vois, je vois. Il faudra travailler là-dessus. Passez me voir régulièrement au bureau ces prochains mois. En attendant, plus de bière ni de pizza, ne fumez plus, et soyez sage avec Madame.
Acte II. L’entraîneur
Il rejoint son bureau, prêt à recevoir les différents corps de métier du club.
Le premier à se présenter est l’entraîneur Franc Passif, accompagné de son acolyte et adjoint, le philosophe Lolo Spinosa. Les deux compères pouffent et se donnent des coups de coudes. Ils ont visiblement du mal à contenir un fou-rire idiot.
KICK : Je ne peux vous recevoir tous les deux ensemble. C’est l’un ou c’est l’autre, choisissez.
FP : Mais nous on est venus ensemble. On fait la paire, en quelque sorte. (ils pouffent)
KICK (sévère) : Bon, entrez. Qu’avez-vous à dire ?
LS : Nous, rien !
FP : Tout va bien, on est contents des résultats, on voit des choses encourageantes.
KICK : Voyons ça. (il lance le visionnage de OM-Lyon enchaîné à Angers-OM) Ah ! Tiens ! Mmmmm. Je vois. (L’air concentré et soucieux, prenant des notes) J’en ai assez vu, vous pouvez y aller. (il se lève)
FP (soudain alarmé) : Quoi ? Ça va pas ?
KICK : Hummm, vous perdez souvent des matchs dans les dernières dix minutes ?
FP : Oui, des erreurs de jeunesse.
KICK : Vous avez l’impression que tout vous échappe, qu’il n’y a aucune solution logique aux problèmes ? La tentation d’essayer n’importe quoi pour stopper ce sentiment atroce de n’avoir aucune emprise sur le résultat du match ?
FP (très inquiet) : Un peu, des fois.
KICK : Je vais vous montrer dans quel état est votre équipe.
(il désigne des photos de joueurs et des schémas tactiques sur un paper board avec un stylo laser)
Voici un meneur de jeu normal ; voici le votre. Voici un milieu de terrain sain, voici le votre. Voici votre patron de défense. En fait, le votre est un peu plus abîmé que représenté ici. Voici un latéral sûr ; voici le votre.
« Voici un meneur de jeu normal » « voici le votre »
FP (terrorisé) : Et qu’est-ce que je peux faire, Docteur ? Je devrais peut-être reprendre des cours ?
KICK (glacial) : Vous ferez ce que vous voudrez.
FP (implorant) : Il y a des joueurs que je peux prendre ? Vous allez me conseiller ?
KICK (hochant la tête) : Tout à fait inutile !
(à Lolo) Et vous, vous êtes venu parler de vos gardiens ?
LS (tremblant) : Non, non, Docteur, je reviendrai vous consulter une autre fois.
(Ils sortent, totalement décomposés.)
Acte III. Le propriétaire
Après quelques semaines d’observation, l’infirmerie déborde de joueurs malades ou blessés. La moitié du staff est en arrêt maladie pour dépression. L’autre moitié est au bord du burn-out. McCourt envisage de remplacer KICK par quelqu’un de plus prévisible, comme Marcello Bielsa ou de moins mégalomane comme Monchi. Il provoque une réunion en tête à tête avec son directeur sportif.
FMC : Alors, Docteur, que pensez-vous de la situation ? Ce club est-il en bonne santé, armé pour les victoires ?
KICK : Ah, mon cher ! Vous savez que pour une entreprise, la santé est une notion qui ne tient plus face aux données de l’économie moderne. Et la victoire est un mot que l’on pourrait sans inconvénient rayer du vocabulaire sportif. Les dirigeants d’une équipe au sommet des classements ne sont qu’en sursis.
(fixant McCourt droit dans les yeux) Car leur tort, c’est de dormir, dans une sécurité trompeuse dont les réveille trop tard le coup de foudre de la défaite.
FMC : Entre nous, c’est une plaisanterie, n’est-ce pas ? (riant nerveusement) Est-il nécessaire de louer les services d’un thaumaturge russe pour envoyer des ondes positives aux joueurs ? Vous me dites cela avec un tel sérieux que j’ai l’impression que vous avez fouillé jusqu’aux tréfonds de l’institution.
KICK (il regarde McCourt avec insistance) : Que voulez-vous, ça se fait un peu malgré moi. Dès que je regarde l’organigramme d’un club, je ne peux empêcher qu’un diagnostic s’ébauche. Au point que j’évite de regarder mes photos de famille.
Dans l’entourage d’un dirigeant, mon œil se jette sur un tas de petits signes imperceptibles, le nombre de parasites employés, la prépondérance du copinage sur le professionnalisme et les compétences, la volonté de faire de l’argent aux dépens des résultats sportifs… et mon appareil à diagnostic se met en route.
FMC (un peu pâle) : Mais quand vous parlez de santé illusoire et de défaite, c’est une façon de parler ou bien… Parce que je ne suis pas sans avoir noté moi-même quelques détails qui…
KICK (le visage fermé) : Allons, mon cher. Prenez quelques jours de repos, et envisagez d’ouvrir votre capital et votre effectif à des investisseurs extérieurs, comme Doyen Sport ou Mondial Promotion. Nous en reparlerons. Il n’est rien ici que je ne puisse arranger.
(il ouvre les stores et on voit les tribunes du Vélodrome toutes illuminées dans la nuit)
Regardez ! Quand je suis arrivé ici, je sentais bien que je ne pesais pas bien lourd. Les deux-tiers de cette enceinte étaient vides à chaque rencontre. Il y a là 60 000 places sous les feux des projecteurs qui se rempliront bientôt les soirs de match, et des millions de téléspectateurs qui observeront, baignés dans la lumière de leur écran plat. (sur un ton de plus en plus enflammé)
Et toutes ces lumières seront à moi ! Ceux qui n’aiment pas le foot iront dormir dans les ténèbres. Tout ce qui est en marge de l’OM, la nuit m’en débarrassera.
Tous les samedis soirs, 60 000 places assises occupées témoigneront que la vie a un sens et, grâce à moi, un sens footballistique. Et je ne parle pas de la Bonne Mère, qu’on ne priera que pour la victoire de l’OM et dont les cloches ne sonneront plus que pour célébrer cette victoire ou marquer l’heure des matchs.
« Go ahead, punk ! Make my day. »
Frank dégaine son .44 magnum et l’abat en disant « Go ahead, punk ! Make my day », puis « Hasta la vista, baby ». Sans plus se préoccuper du corps, il décroche son téléphone et ordonne : « Appelez moi ce Loco de Bielsa, j’ai un poste vacant qui serait parfait pour lui ».
Rideau. Applaudissements. Retour des acteurs pour saluer, puis extinction des feux.